Harold : Mieux vaut courir…

Plus que le cinéma, s’il est un média duquel j’aime voir le jeu vidéo s’approcher, c’est bel et bien le dessin animé. Il est alors rassurant et intéressant de voir, malgré tout le travail que cela peut représenter, les développeurs, des plus prestigieux aux plus petits, s’essayer au « film d’animation interactif » qui n’est plus, aujourd’hui, un rêve d’enfant.

Harold, effectivement, a un goût tout spécifique qui ne l’empêche pas, paradoxalement, de faire penser à de glorieux modèles. En en discutant avec Jibé, nous n’avons su faire autrement que d’évoquer le Hercule de Disney, et de tracer un parallèle entre le demi-dieu adolescent et le personnage principal de ce jeu. Personnellement, j’ai cru y voir tout également du Lester the Unlikely et peut-être davantage toute une flopée de jeux sur Playstation et Saturn. Il se dégage en tous les cas comme une aura toute particulière à ce titre, délicieusement rétro bien qu’indubitablement contemporaine, comme si nous trouvions là une forme d’irréductible du jeu vidéo qui sait plaire à toutes et à tous.

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C’est peut-être par ce biais que je construirais alors cette revue, par ce mélange des contraires et des complémentaires que je crois discerner et dans l’imagerie, et dans le gameplay, et dans le principe. L’heure, nous dit-on de partout, est à la mondialisation : et la culture, dont le jeu vidéo fait sans doute partie, de ne pas faire exception. Jusqu’à présent, c’est la juxtaposition des formes qui semblait prédominer, le patchwork déraisonné et, quelque part, maladroit. À présent que les références ont été mûries, que la digestion a fait place à l’innutrition, les choses sont plus intéressantes.

De la même façon que Freaks’ Squeele, que j’ai découvert récemment, les développeurs de chez Moon Spider ont mélangé un trait très occidental (la technique, qui consiste à retravailler des modèles 3D comme s’ils étaient sortis d’un crayon, n’est pas sans faire penser à du Runaway de Pendulo Studio) avec des cinématiques empruntant davantage aux codes du manga et une histoire, quant à elle, toute teintée d’un mysticisme gréco-chrétien qui ne dépareillerait guère dans un comics. Le principe du jeu, entre course, labyrinthe, gestion, stratégie, a des atours de bonus stage d’arcade, de Lemmings des temps micro et de rhythm game comme on en voit de nos jours. Enfin, l’ensemble est à la fois outrageusement simple à comprendre et terrifiant de complexité à maîtriser.

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Rappelons alors, succinctement, le principe. Sous couvert d’une bataille opposant des anges gardiens soucieux de leur prochain diplôme, divers coureurs s’affrontent au sein d’espaces isolés. Les célestes protecteurs ne sauraient intervenir directement dans les affaires des mortels, mais ils peuvent volontiers interagir sur l’environnement. Aussi est-ce au joueur d’actionner des manivelles ouvrant tel ou tel passage, de faire se rapprocher des ponts mouvants, de créer le chemin le plus efficace possible pour ce malheureux Harold qui doit finir par se demander s’il n’a pas des visions détestables.

Comme on s’en doute bien, les choses se compliqueront rapidement : non seulement nos actions pour permettre au dégingandé de remporter la course se doivent d’être de plus en précises mais, de plus, il devient rapidement nécessaire de ralentir nos concurrents et de leur mettre des bâtons dans les roues.

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C’est peut-être alors ici, surtout, que le bât blesse davantage même si je ne parviens pas à me décider si cela a été bel et bien voulu par les développeurs ou si c’est quelque chose qui aurait mérité un peu plus de considération. En effet, impossible de jouer autrement ici qu’au pad alors qu’une combinaison au clavier et à la souris ou, mieux encore, à l’écran tactile semblait s’imposer.

Rapidement, je me suis effectivement emmêlé les pinceaux : l’impossibilité de régler comme nous l’aimerions les commandes, la rapidité avec laquelle l’on nous demande de réagir, les nombreux gestes spécifiques qu’il nous retenir… Je parlais de rhythm game plus haut : nous en sommes là je pense. Très vite, dès le deuxième monde je dirais, les seuls réflexes ne suffisent plus : c’est une partition qu’il nous faut connaître et réciter sans erreur. Je ne comprenais pas, au tout début du jeu, pourtant les tutoriels étaient si longs : c’est qu’ils ne sont pas là, comme dans d’autres jeux, pour nous apprendre à jouer, mais pour nous apprendre à bien jouer.

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C’est là aussi une autre assemblée des contraires qui étonne la première fois : alors que beaucoup de choses ici font penser à du jeu sur téléphone ou tablette, les grosses étoiles jaunes à récupérer, les belles indications bleutées nous indiquant les endroits interactifs, le principe même du runner qui sembla renaître sur ces supports, sa difficulté et son exigence en font un titre qu’aucun joueur digne de ce nom n’oserait mettre de côté.

Si l’on ajoute également à cela le style graphique, dont j’ai parlé plus haut et qui gagne en richesse à chaque fois qu’on y regarde, moult détails étant comme invisibles les fois premières, l’excellente ambiance sonore, qui évolue sensiblement avec nos actions, victoires et défaites, l’humour et la joyeuseté intégrale qui dominent Harold, force est de dire ici que nous sommes face à ce que nous pourrions appeler une « belle surprise », sans que ce mot ne soit galvaudé.

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Dire que le jeu vidéo a évolué ces vingt ou trente dernière années, c’est non seulement enfoncer des portes ouvertes, mais aussi énoncer des banalités affligeantes. Dire, en revanche, qu’un jeu comme Harold nous fait dire qu’il a de beaux jours devant lui, est plus important.

En tout cas, ce jeu me conforte dans une opinion que j’ai depuis longtemps, et que je répète encore : que ce sont les indépendants, ou encore ce qu’on peut appeler « l’avant-garde », qui sauveront le jeu vidéo. Sur ce, je m’en vais sauver Harold… Il en a bien besoin !

Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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