Rayman Legends : Trop, c’est trop

Il est des fois où je me déteste. Sincèrement. Mais mon caractère m’amène à voir le mal partout, toujours, tout le temps. Voici venir Rayman Legends que j’attendais depuis des lustres, je l’ai terminé, et il est à la hauteur de mes espérances. Hélas. 

Je sais bien que cela semble paradoxal mais Rayman Legends m’agace. Et pourtant, cela n’est pas lié à ses qualités ni à ses défauts, à son ambiance, à sa difficulté ou autre bref, à ce qui est d’ordinaire passé à la loupe par les journalistes.

Non, c’est autre chose. C’est un peu comme ce gars, que vous connaissez, qui est charmant comme tout, aimable, toujours prêt à rendre service, drôle, avec de l’a-propos, spirituel… Mais au fond de vous-même, et même sans que rien ne le justifie, vous vous dites : « trop poli pour être honnête. »

Tous les jeux ont une histoire… Un seul est une légende.

Disons les choses simplement, tout d’abord. Quand bien même le bond technique vis-à-vis d’Origins est très sensible – en tout : animation, couleurs, détails divers… -, quand bien même il existe ces niveaux spéciaux dédiés à Murphy et au Game Pad – encore une fois, soyons sérieux, ces niveaux ont été taillés pour la WiiU, les tests ont beau dire ce qu’ils veulent, l’effet se fait très contraint sur Xbox360 et pas naturel pour deux sous -, quand bien même le contenu se fait très impressionnant et devrait vous occuper un peu plus longtemps que le dernier opus, Rayman Legends reste, à tous les niveaux, un « Rayman Origins 2 » dans la mesure où il ne rajoute rien à ce qui avait déjà été posé auparavant. Il serait un peu ce que New Super Luigi WiiU est à New Super Mario Bros. WiiU : une exploration jusqu’au-boutiste d’un concept élaboré plus tôt.

Ainsi, Rayman ne bénéficiera réellement d’aucun nouveau mouvement – si ce n’est une forme de projectile, surtout utile pour les stages en hélicoptère – et les environnements traversés, même s’ils savent ménager leurs effets, ont plus ou moins un goût de « déjà vu ». Le monde 3, notamment, « la fête des Morts », aurait pu tout à fait prendre place dans le monde 3 de Origins, et de même pour les mondes 1 et 4 et leur contrepartie dans l’autre jeu : autant d’éléments qui me poussent à voir dans Legends un côté « bootleg » non désagréable cependant, mais qui donne une impression d’éparpillement étrange. En témoignage de cela, la carte du monde a laissé sa place à un système de tableaux abstraits, et on ne sera donc pas surpris de trouver, au milieu du monde du Moyen-Âge, un niveau se déroulant dans une steppe désertique.

Malgré cette pompe, le jeu sait se faire très agréable pour qui s’y plonge. Si les deux premiers mondes, « Teensies in Trouble » et « Toad Story » sont relativement classiques et relativement proches en esprit – des environnements médiévaux et de la jungle -, les suivants viennent parfaitement contredire l’habillage du jeu puisqu’on va retrouver là un monde orienté vers la nourriture qui n’est pas sans rappeler le « Chaeau des Délices » du tout premier Rayman, et le monde sous-marin nous laisse à croire que l’on reprendra l’environnement d’Origins alors que l’on s’oriente vers un univers technologique qui m’a fait beaucoup pensé, en vrac, à Earthworm Jim, à Crash Bandicoot 2 et 3 et surtout à Abe’s Oddysee pour ses jeux avec les lasers et les sphères de surveillance. Le monde de l’Olympe est surtout un prétexte pour plonger dans les enfers et côtoyer une ultime fois les dragons, comme s’il fallait encore une fois justifier le titre du jeu et le tout dernier monde, « bonus » si l’on peut dire, est un hommage on ne peut plus marqué à Christophe Héral et rend justice à son magnifique travail sur le plan musical, se piquant même par endroit de faire du Beat the Beat dans la mesure où vous devrez compter davantage sur vos oreilles que sur votre vue pour terminer le niveau en un seul morceau.

Et pourtant, tout au long du jeu, après l’avoir fini, après avoir refait les niveaux pour bien m’en imprégner, l’impression dont je parlais plus haut ne m’a pas quitté. C’est en refaisant les tableaux d’Origins, que l’on débloque au fur et à mesure et qui ont été « refondus » pour l’occasion que j’ai compris ce qui me tracassait.

Le jeu est tout simplement trop généreux. Et de mémoire de joueur, je ne me souviens que d’un autre titre qui m’aura fait cette impression, dans un autre genre : Portal 2.

 

Il y en a un peu plus, je laisse ?

Dans mon esprit, j’ai tendance à classer les jeux de plates-formes/action en deux catégories : les « chiches » et les « malins ». Les « chiches » sont, de loin, les plus nombreux : ce sont des jeux qui peuvent être plutôt beaux, intéressants à jouer mais qui peinent à renouveler leur principe de base, ne varient que peu leurs épreuves, ne font que changer légèrement les environnements traversés et rien de plus. Les « malins », quant à eux, cherchent constamment à introduire de nouveaux ennemis, de nouvelles mécaniques de gameplay, de nouvelles idées. Bien souvent, dans une même série, les deux catégories se rencontrent : selon ma terminologie, Super Mario Bros. est « chiche », Super Mario Bros. 3 est « malin » ; Donkey Kong Country est « chiche », Donkey Kong Country 2 est « malin » et ainsi de suite.

Or, selon moi, Rayman Origins était déjà « malin » : on explorait ce monde sur terre et en mer, l’on faisait des courses folles, esquivait des flammes, des machines ignobles, les combats de boss étaient formidables, les stages à dos de Moskito terriblement intelligents. En comparant, cependant, les niveaux d’Origins à ceux de Legends, on comprend mieux la différence de traitement entre les épisodes mais, et c’est encore cela qui est le plus étrange, le level design ne nous donnait pas cette impression de prime abord.

Les niveaux de Rayman Origins était divisé en « micro-épreuves », plus ou moins longues, dont la complétion faisait office de check-point en passant une porte cernée d’un œil. Cependant, chacune de ces « micro-épreuves » ne modifiaient pas en profondeur le principe fondateur d’un niveau en particulier, qui pouvait être basé sur des glissades, sur de la voltige, sur un mécanisme en particulier. On avait plutôt affaire à une expérimentation continue sur un principe premier.

Dans Rayman Legends, les niveaux sont, en général, composés d’un seul et unique tenant et les check-points sont « invisibles », l’on ne sait trop jamais quand on en trouve un. Mais, en contrepartie, les épreuves évoluent drastiquement du tout au tout au cours d’un même niveau. Prenons, par exemple, le niveau où on doit utiliser du guacamole pour aider Globox-canard à traverser le stage. Si, au tout début, on doit l’utiliser pour construire des ponts, on s’en servira ensuite pour bloquer des projectiles, pour rediriger de la sauce piquante, pour freiner une chute, autant de concepts qui auraient pu, chacun, être l’objet d’un niveau entier dans Origins.

Il en va ainsi de la grande majorité des niveaux « normaux », ce qui a alors amené les développeurs à multiplier les niveaux « course-poursuite » qui sont, à présent, construits d’un seul tenant que ce soit par l’intermédiaire des niveaux musicaux, des niveaux où l’on doit libérer une héroïne ou les stages « d’invasion » alors qu’ils étaient, auparavant et nonobstant les « coffrapattes », intégrés tel que dans les niveaux « traditionnels ». En esprit, en réalité, les niveaux de Legends sont les dignes héritiers de Land of the Livid Dead, le dernier stage « bonus » d’Origins : une débauche certes plus calme mais intense d’idées en continu, sans réelles coupures, où les épreuves s’enchaînent les unes après les autres.

Jouer à Rayman Legends c’est prendre le risque d’être essoufflé, bien davantage qu’en jouant à un Sonic, par exemple, tant les développeurs nous abreuvent, nous gavent même d’idées et de concepts. Et ils sont tous d’une très grande qualité, d’un grand humour – ah ! ce catcheur qui se noie dans la lave en reproduisant la scène finale de Terminator 2 ! – et d’un rythme travaillé. Mais, parfois, l’on aimerait bien ralentir le temps, prendre un moment pour comprendre ce qui arrive et se rendre compte de la qualité du jeu. Le jeu me fait plus que jamais l’impression d’un dîner à la Tour d’Argent que l’on engloûtirait en dix minutes chrono’, tous les goûts et saveurs se mélangeant à un rythme effrené et si le détail est excellent, l’ensemble déçoit nécessairement.

Un jeu à jouer… ou à regarder ?

Le tour de force de Rayman Legends, du reste, est sa capacité de pouvoir être apprécié autant par un joueur seul qu’à plusieurs (jusqu’à cinq joueurs) et même, par l’intermédiaire de la « mablette », par des enfants où des néophytes qui pourront ponctuellement aider le joueur ou s’amuser avec les bulles de savon à faire évoluer les musiques.

Mais il est une autre qualité, qui ne s’adresse finalement pas au joueur : le plaisir visuel du spectateur. Il se passe tant de choses lors des niveaux de course-poursuite qui composent près de la moitié des stages que le joueur n’a pas le temps de s’en rendre compte, tout concentré qu’il est sur son personnage et sur ses réactions. L’ami, à ses côtés et en revanche, verra les décors s’effronder, les ennemis éviter de justesse le héros, les flammes lui lécher le corps. Tout est scripté, bien évidemment : mais la vitesse d’exécution et le « story-board » de ces séquences sont tellement bien faites que l’on se prend à croire que rien n’était joué d’avance et que le joueur est bel et bien un maître en la matière, alors qu’il n’a fait que sauter et donner un coup à des moments précis, indiqués clairement sur l’aire de jeu par des éléments particuliers.

En conclusion, Rayman Legends est « trop ». Trop rapide, trop intelligent, trop drôle, trop beau, trop sublime, « trop tout ». Il lui manque certains petits moments d’attente, de contemplation, quelque chose pour le ralentir dans sa course effrenée. Même Sonic, au détour d’un niveau aquatique ou d’un stage aérien, savait faire redescendre l’adrénaline du joueur ; même Super Meat Boy, qui a influencé énormément la direction moderne de Rayman demandait au joueur de parfois temporiser son action et de planifier son mouvement.

Là, tout s’enchaîne à une vitesse incroyable, c’est une histoire, une légende, pour reprendre un mot fameux, « pleine de bruit et de fureur ». Que l’on ne se méprenne, pourtant : le jeu est sans aucun doute excellent, l’un des meilleurs platformers de ces dernières années, au challenge intéressant, aux idées incroyables, aux graphismes délicieux, à l’humour déjanté, à la musique… Dieu, ces musiques ! Et je lui souhaite un beau succès. Mais, malgré tout, je préfère Origins, non parce qu’il est le premier, mais parce qu’il savait ménager ses effets et faire varier son rythme.

Je sais que le jeu vidéo est d’ordinaire porté par la vitesse et le jeu de plates-formes, en règle générale, d’être tout dirigé vers cela : même Mario, qui a pourtant une grande composante d’exploration, nous invite régulièrement à foncer à toutes berzingues, à voltiger de ci, de là et à enchaîner nos sauts comme s’il n’y avait pas de lendemain. Mais il sait aussi récompenser le joueur patient, méthodique et quiet.

Rayman Legends ne fait pas dans la demie-mesure. Tout doit aller vite, nous n’avons même plus le temps d’explorer une carte. Et c’est ça que je regrette le plus encore.

De là, voici ce que je dirai : achetez et jouez à Rayman Legends, c’est un grand, très grand jeu. Mais prévoyez une bouteille d’oxygène à vos côtés, vous risqueriez sinon de tourner de l’œil.

Mathieu  

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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