Delta Rune : I have a bad feeling about this…

   C’était l’événement d’Halloween pour les initiés : la sortie, gratuite, de Delta Rune, nouveau projet de Toby Fox dont le nom est indissociablement lié à Undertale. Auréolé de mystère, ce nouveau jeu est d’un parcours fascinant et ce bien que, tout du long, je me sois dit que quelque chose « sonnait faux ».

/!!\ Cet article contient des spoilers ! /!!\

   Les amateurs d’anagramme en auront pour leur argent : Delta Rune reconfigure effectivement les lettres d’Undertale, tout en renvoyant à ce symbole de la famille royale que l’on retrouve constamment. On parle également de Ralsei et de Kris, on retrouve d’anciennes figures et d’anciennes préoccupations ; et quand bien même les théories fuseraient quant à la façon dont ce premier chapitre, d’une histoire qui se veut bien plus longue, s’articulerait avec l’ancien succès critique et populaire, nul doute que les points de rencontre ne sont point des incidents mais des choix pensés, voulus, travaillés.

   De prime abord néanmoins, Delta Rune se fait aussi classique qu’Undertale se voulait païen. Jadis, nos choix modelaient les contours de notre aventure en une réflexion toute post-moderniste sur les relations entre le joueur et le jeu ; ici, l’on nous prévient que rien n’aura d’importance et que l’issue sera toujours la même, nonobstant quelques menues variations n’engageant cependant point le propos dans sa totalité. Dans Undertale, les éléments renvoyant au jeu de rôle traditionnel étaient distordus, subvertis ; on les embrasse dans Delta Rune, dont la vue ne peut que rappeler les grandes gloires des temps passés. Notre objectif, auparavant, était obscur et ne se dévoilait qu’organiquement, par le parcours de l’univers ; celui-ci nous est donné dès le commencement, et n’évoluera point. Si Undertale contait la façon dont la lumière perçait l’obscurité, Delta Rune, enfin, fait l’apologie de l’ombre grignotant la clarté.

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   J’ai été, je suis encore et je l’ai dit à plus d’une reprise, ici ne serait-ce, des plus admiratifs d’Undertale. Je n’irai pas contre la voix populaire, et j’affirme encore son grand génie : je puis volontiers comprendre le désamour de certains, voire son rejet mais, me concernant, je n’ai aucun reproche à faire à ce que je considère comme l’un des titres les plus marquants du média dans sa totalité, et dont on reparlera encore dans vingt ans, je crois. J’ai donc été des plus curieux en téléchargeant Delta Rune, curieux mais, également, prudent, dubitatif, prompt à sortir ma boîte à outil analytique. Pensez, l’on m’avait fait le coup une fois ! Et au contraire de Lucas Pope qui, entre Papers, Please et Return of the Obra Dinn changeait fondamentalement d’univers, bien que des thématiques se retrouvent conjointement dans ces jeux, Toby Fox joue la carte du même sans volonté particulière de tromper.

   C’est alors avec un regard analytique aigu que l’on plonge volontiers dans Delta Rune, du moins, ce fut mon réflexe. On peut certes y jouer sans avoir connu Undertale, mais on l’appréciera sans doute d’autant mieux ce faisant. Avec mon œil scrutateur, on m’expliqua les principes du combat et de l’exploration, je lus les dialogues, j’étais habité par le « soupçon du doute » qui, nous dit-on, explique tout l’art, ou peu s’en faut, du siècle dernier et du nôtre. Progressivement cependant, j’étais troublé : car s’il est, véritablement, des tensions qui dans la façon dont l’histoire est conduite, qui dans la façon dont les combats se résolvent ou, évidemment, dans ce long épilogue qui remet brutalement tout en question, l’ensemble se fait finalement assez sage. Point de Flowey ou de Sans pour nous révéler que tout cela est un « jeu vidéo » ou nous mener vers des chemins troublants ; point de jeu sur l’expérience ou les objets de quête ; l’esprit renvoie volontiers, et davantage, à une sorte de Paper Mario indépendant, où l’humour enlevé habite le moindre lieu, le moindre objet, où alliés comme opposants changent de camp périodiquement, qu’à une expérimentation délurée d’un esprit chafouin.

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   Dès lors, c’est cette sagesse que j’ai trouvée dérangeante, hétérogène, exotique, presqu’insultante, tout compte fait. Je ne pouvais me dégager de l’idée que quelque chose « sonnait faux ». Cela, bien entendu, a sans doute à voir avec cette introduction bizarrement réminiscente du Giygas d’Earthbound, de cette voix surplombante que l’on ne retrouvera pourtant jamais après, de ce balancement que l’on ne sait pas vraiment interpréter. D’un côté, le jeu ne se risque quasiment pas au bris du quatrième mur, même Sans, que l’on trouvera ultérieurement, est tranquille – ce qui laisse certains à penser que nous avons là une sorte de « point original » de toute cette histoire, avant que les lignes temporelles et les dimensions ne s’interpolassent – ; de l’autre, son enrobage global, la façon qu’il a de se distancer avec ses propres codes et notamment par le délicieux personnage de Susie, sans doute l’un des meilleurs du genre, laisse entrevoir un monde plus vaste, plus grand, plus profond que ce que l’on nous a présenté.

   C’est finalement ce balancement, ce clair-obscur qui m’aura perpétuellement dérangé dans mon parcours de Delta Rune mais, et j’aimerais appuyer là-dessus, ce dérangement ne fut pas déplaisant, bien au contraire. Les sachants comprendront, sans doute : mais lorsque l’on joue depuis dix, quinze, vingt ans, davantage, on tend à s’habituer, à deviner, à prédire ce qui se passera. On part, pour ainsi dire, avec la mémoire de tout ce qui fut lu et su auparavant, on se rend compte, finalement, que l’originalité n’est souvent que superficielle et qu’en grattant le ripolin, on retrouvera des noms fondateurs que l’on ne connaît que trop bien. Delta Rune m’a fait l’effet contraire : la surface me semblait connue et habituelle, rassurante, mais plus je grattais, et plus le dissonant sourdait, imprévisible. Même prudent, je me fis finalement avoir, et je n’ai qu’une idée en tête, avoir la suite, le second chapitre de ce qui est une première entrée magistrale, un apéritif délicieux, mais qui ne saura me contenter qu’une fois le dessert ingurgité. On ne pourra évidemment juger tout cela qu’une fois l’ensemble accompli : mais déjà en lui-même, Delta Rune est une expérience magique, qui a ce goût inénarrable du cadeau de noël anticipé.

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   Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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