Vingt ans d’ocarina

   C’est un fait : j’ai toujours été mauvais pour me souvenir des dates d’anniversaire. J’ai donc accidentellement appris que cela faisait vingt ans que The Legend of Zelda: Ocarina of Time était sorti sur N64, et qu’il demeure une pierre angulaire du jeu d’action-aventure, à ce qu’on dit. Je le pense également : mais il est aussi, pour moi, un jeu important pour notre histoire commune.

   J’avais par le passé, pour Grospixels, longuement écrit sur ce jeu. En substance, le propos de mon article reprendra, bon an, mal an, ce que je disais alors. Si j’enlève mes lunettes nostalgiques, et que je me défais du plaisir que j’ai pu avoir, pour mon noël 1998, à défaire le papier enveloppant la cartouche au pied du proverbial sapin, force est de reconnaître qu’Ocarina of Time, même à son époque, brillait autant par ses nombreuses qualités que par ses défauts, défauts qu’il serait vain, voire hypocrite, de minorer ou de dissimuler aujourd’hui. On cite souvent son aspect narratif plus prononcé que jadis dans la saga, hélas au service d’une intrigue plutôt simpliste et bétonnée par un dirigisme désagréable. On évoque l’architecture complexe et tortueuse de ses donjons, quasiment peu égalée depuis, que relie une plaine vide d’intérêt et d’objectifs. On loue la grande diversité de ses objets et des mélodies de l’ocarina, malheureusement ne laissant que peu libre cours aux expérimentations, chose qui sera depuis corrigée avec Breath of the Wild.

   Pourtant, il ne s’agit pas ici d’un jeu à somme nulle, comme s’il fallait faire une moyenne arithmétique de tous ces éléments pour donner une note chiffrée à l’instar de ce que proposait jadis les magazines, de ce que propose encore aujourd’hui les sites consacrés : comme souvent dans une œuvre culturelle, le tout est plus grand que la somme des parties. Et là où on aurait pu croire que ces défauts véritables et barbants clouaient le jeu au pilori, une magie sensible opère au-delà du joueur, au-delà de qui contrôle Link : c’est dans l’histoire du jeu vidéo dans sa totalité qu’il faut comprendre ce qui s’est passé ici.

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   Aussi, on rappellera, à toutes fins utiles, que même en son temps, Ocarina of Time avait ses détracteurs. On a beau réécrire l’histoire, il y avait des joueurs d’alors, tout comme il en est aujourd’hui et ce nonobstant un remake sur 3DS qui aplanit intelligemment les problèmes les plus patents, qui n’appréciaient guère le jeu : le tableau nuancé que je viens de brosser fera comprendre pourquoi. Mais de la même façon que l’on ne peut apprécier, mettons, Star Wars du point de vue cinématographique tout en reconnaissant tout ce qu’il a pu apporter en termes d’effets spéciaux, difficile d’ôter à Ocarina of Time ses ambitions souvent couronnées de succès et l’empreinte décisive qu’il imprima sur notre média.

   Il y a effectivement une grandiloquence, une façon de présenter son propos, que l’on n’avait que trop rarement vu alors. Des jeux aux ambitions narratives fortes, et à la scénographie élaborée, on en connaissait déjà : Zelda 3 ne serait-ce, pour rester dans cette seule saga, ou plus de RPG que l’on ne peut en compter chez Square & Enix, sans même parler du micro, faisait déjà cela. Mais Ocarina of Time, d’une part, fut un succès mondial, y compris en Europe où le jeu de rôle était, encore et alors, surtout réservé à l’import ; d’autre part, tout ce qui fait est orienté vers le spectacle.

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   Il y a effectivement, dans ce jeu plus que dans d’autres, un départ particulièrement fort quant au jeu d’action-aventure. Ceux-ci, souvent inspirés du jeu de rôle papier à la Dungeon & Dragons, mettaient d’ordinaire l’accent sur le secret, le dissimulé, l’obscur : l’environnement était là, surtout, pour distraire le joueur et contraindre son angle de vue, l’obligeant ainsi à fouiller méthodiquement les lieux : et la vue surplombante des premiers jeux Zelda, de même que d’autres du genre tels les Hydlide ou les Legend of Thor, de flatter cet esprit de l’aventure.

   Ocarina of Time, en passant à la trois dimensions, dynamite cette idée : et la transition se fait bien plus rude que, mettons, Super Mario 64 dont la 3D se présentait comme une continuité évidente de Super Mario Bros. Alors, on joua sur la grandeur et la profondeur, les couloirs aveugles et les points de vue ; l’idée de faire évoluer l’âge, et donc la taille de Link, permet de modifier le point de vue du joueur et de nuancer, une fois encore, notre approche des décors, des ennemis et des situations.

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   Je disais précédemment, et avec raison je pense, que les objets d’Ocarina of Time ne permettaient pas une grande ingéniosité dans les problèmes à résoudre : certes. Mais ils ajoutent cependant, au regard de ce qui faisait chez la concurrence à l’époque, une interactivité incroyable. Les décors ne sont pas précalculés comme ailleurs ; chaque élément de l’inventaire est visible à l’écran ; et si les effets réels de nos bombes ou de notre arc sont, finalement, limités, il est agréable de voir les murs se noircir temporairement après une explosion, et nos carreaux se ficher dans les arbres et les murs lors de nos échauffourées.

   Pour la première fois peut-être, et même si on peut effectivement rire de la réalité des choses, on nous proposait un environnement vivant et mouvant, qui (petitement) se modifiait au gré de nos interactions et de notre avancée dans la partie. Bien entendu, Majora’s Mask fera bien, bien plus ; et le jeu de rôle depuis toujours joue avec cette idée fondamentale. Mais Ocarina of Time le fait sur un mode populaire, à destination du grand public, d’une façon aisée et compréhensible à toutes et tous ; il est une chose d’être le premier, mais c’en est une autre d’être le plus connu.

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   C’est en cela qu’Ocarina of Time, indépendamment de ses qualités et de ses défauts, est un jeu marquant : il inaugure, à mon sens et avec d’autres qui lui sont contemporains, dans d’autres catégories, la période post-moderne du jeu vidéo, que nous vivons encore. Une période succédant, peut-on dire, au classicisme des années 70 et 80, fondé sur le scoring et la dextérité ; et à la période moderne des années 80 et 90, portée par la narration et l’apparition de nouveaux genres : le post-modernisme en jeu vidéo se caractériserait, peut-on dire, par une plus grande intégration du joueur dans son environnement, par une meilleure interactivité, par une plus grande ingéniosité.

   Peut-être, alors, est-ce que je retiendrai le mieux d’Ocarina of Time aujourd’hui : son ingéniosité, visible évidemment à l’époque, mais encore aujourd’hui certes, derrière le brouillard si caractéristique de la N64 et les personnages taillés à la machette. Il n’est pas parfait et, bien entendu, il ne saurait faire l’unanimité : mais sa grandiloquence, sa certitude, sa ligne forte est restée dans toutes les mémoires. Je ne pense pas que l’on puisse y revenir aujourd’hui, il est bien trop daté : mais il fut le premier d’une nouvelle génération, qui aujourd’hui encore fleurit sur les fondations magistrales qu’il a installées.

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   Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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