The Walking Dead: A New Frontier – Zombien ou pas ?

   Après une première saison incroyablement riche et de laquelle je demeure admiratif et une seconde bien médiocre, malgré quelques trop rares fulgurances, je n’attendais pas grand chose de la suite des aventures de Clémentine. Telltale Games, après s’être essayé à d’autres univers sans grand succès, il faut le dire, revient à son succès inaugural avec une promesse de renouveau. Le cinquième épisode sorti, que peut-on dire de The Walking Dead: A New Frontier, troisième saison du jeu inspiré de l’œuvre de Robert Kirkman ?

///!!!\\\ Cet article contient des spoilers sur l’histoire du jeu ///!!!\\\

   Commençons peut-être par évoquer ce qui avait déçu en son époque : le fait que l’on ne dirigera point Clémentine dans cette aventure mais Javier Garcia, un joueur de baseball déchu qui, après l’apocalypse zombie, prend en charge sa belle-sœur, son neveu et sa nièce dans la foire survivante que l’on a appris à connaître. En toute sincérité, c’est là une décision que non seulement je comprends mais que, de plus, je trouve bienvenue : c’est peut-être même pour moi le plus grand génie de l’écriture du jeu. La seconde saison souffrait d’avoir la fillette en qualité de personnage principal : les adultes l’écoutaient religieusement, elle échappait goguenarde aux plus grands dangers, on avait peine à s’attacher à son sort et, partant, au sort de tous ceux l’entourant.

   Dans A New Frontier, Clémentine à présent adolescente redevient un personnage secondaire certes, mais d’importance ; et quand bien même pourrait-on la contrôler ponctuellement, au sein de quelques séquences de flashbacks explicitant certains moments de l’ellipse ayant eu lieu entre les saisons, on retrouvera surtout l’idée de la saison inaugurale, avec une forme de relation père/fille qui évite ce faisant les travers que j’énumérais précédemment.

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   Malheureusement, on ne retrouvera pas ici toute la sensibilité, toute la qualité et toute l’intelligence de la relation entre Lee et Clémentine, relation dont il faudra définitivement faire le deuil. Deux choses en particulier nous empêchent de retrouver ces émotions sincères : tout d’abord, le fait que Clémentine et sa personnalité soient à présent parfaitement constituées. Dans la première saison, elle n’était qu’une enfant et Lee la guidait ; dans la seconde, nos actions et nos choix, notamment celui de la figure tutélaire qui nous guidera le long de l’histoire (Kenny, Luke ou Jane), modelaient notre apprentissage ; mais une fois A New Frontier commencé, rien de ce que nous ferons, ou de ce que nous dirons, n’influencera la petiote que nous côtoyons incessamment. Au-delà du chargement de nos dernières sauvegardes ou, encore, du résumé que l’on construira au commencement de la partie, rien n’aura réellement d’importance.

   Ensuite et surtout, ce qui empêche cette saison de s’élever au-delà du « moyen », ce sont les protagonistes et notamment le personnage principal, Javier, qui ne parvient jamais à s’émanciper de la caricature. Il rentre dans les rangs serrés et de plus en plus nombreux de la légion des héros bruns à la barbe drue, ceux-là mêmes que les développeurs affichent qui dans The Last of Us, qui dans Uncharted et consort, et sa personnalité est hélas bien plane. Les choix qui nous sont proposés le concernant, qui envers Kate, sa belle-sœur, qui envers son frère, David, peineront à soulever un quelconque intérêt. Tandis que Walking Dead, le comics tout du moins, nous propose une galerie épatante de héros complexes aux motivations secrètes, le jeu donne dans le classique et le superficiel : on aura donc droit au balèze au grand cœur, Tripp ; à la doctoresse ne souhaitant rien de plus que d’aider les malades, Eleanor ; à l’intrigante prête à tout pour sauver sa communauté, Joan, et j’en passe. Dès le commencement lit-on comme un livre ouvert dans ces différents personnages et jamais n’aura-t-on une surprise quelconque : et lorsque les choix deviennent fades, c’est le principe du jeu dans sa totalité qui s’en retrouve compromis.

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   La relation entre Javier et David, son frère, est très représentative de cela. En voulant constamment jouer sur la surprise et le « twist », l’écriture ne parvient jamais à nous émouvoir : Javier est monotone et très loin de la complexité de Lee, assassin malgré lui ; David est un père de famille violent mais à la grande âme, qui s’emporte mais qui, en définitive, ne veut que la rédemption. Rien de ce que font ces personnages ne nous surprend, et au moment où on les croit nous échapper, tout est jeté aux orties par tel ou tel événement qui s’amuse à tracer dans le sable une ligne claire séparant le bien et le mal. En réalité, le jeu devient bien plus intéressant non lorsqu’on essaie de faire le « bon choix », en accord avec nos valeurs, mais lorsque l’on s’amuse à être le plus parfait des imbéciles. Au moins, dans le second cas, les événements terribles se déroulant sont mérités, et on retrouve alors ici les plaisirs de l’œuvre originale, qui réfléchit profondément à la morale et à ses limites, à la justice et à son impunité, à la vengeance et à sa nécessité. Dans le cas contraire, on se retrouve plus que jamais les jouets d’une écriture qui ne semble jamais prendre en compte nos décisions, échouant à nous offrir ne serait-ce que l’illusion du choix.

   Là où le jeu parvient, cependant, à répondre à nos exigences, c’est dans la façon qu’il a de traiter les choix les plus importants, lorsque nous décidons de partir au matin ou au soir, de tuer tel ou tel personnage, d’aller à gauche ou à droite. Tandis qu’auparavant ces choix étaient rapidement résolus et n’engageaient pas l’économie tranquille du scénario, ici, nous aurons droit à des séquences alternatives assez intéressantes et à une toute nouvelle organisation des problématiques qui s’offriront à nous. Quelque part, les développeurs ont fait le choix de privilégier une approche plus traditionnelle du jeu d’aventure au détriment de ce qui faisait le sel initial de la saga : ils ont déplacé l’intérêt sur les histoires parallèles plutôt que de se concentrer sur des dilemmes moraux s’inspirant lointainement du Choix de Sophie, assurant ce faisant une certaine rejouabilité mais diluant le plaisir sincère que l’on pouvait avoir lors d’une première partie.

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   En définitive, A New Frontier laisse un goût étrange en bouche. Il a des fulgurances et des intelligences fortes, par exemple par l’intermédiaire des « flashbacks » interactifs se déroulant avant l’apocalypse et dans lesquels nous voyons les frères se confronter, ces scènes étant bien écrites et en disant davantage sur Javier et David que toute l’aventure principale ; mais il sombre souvent dans la facilité avec ses personnages classiquement constitués, l’adolescent buté, la femme forte, le médecin drogué, et ne parvient jamais à nous émouvoir réellement. S’il est pour moi cependant supérieur à la seconde saison, parce que plus crédible, mieux rythmé, moins assuré de sa réussite qu’il pense incontestable, il est loin, très loin, bien loin du génie inégalé et inégalable de la première saison, génie qui ne sera sans doute jamais reproduit.

   Vaut-il le parcours ? Oui, peut-être, sans doute : il est plaisant de suivre les aventures de Clémentine, qui reste noblement écrite, et à l’instar de Rick Grimes dans le comics ou dans la série télévisée, on peut accepter d’aller au-delà de ses incohérences et de l’énervement léger qu’il peut parfois provoquer pour en savoir davantage sur son aventure. S’il s’agit cependant là de votre première entrée dans l’histoire, je vous déconseille la saison et vous renvoie ou vers la première, ou encore vers The Wolf Among Us qui est également une excellente illustration de la « façon Telltale Games » de raconter une histoire. Quant à moi, sans regretter de l’avoir traversé, je peine à trouver à A New Frontier une qualité particulière : tout au plus fera-t-il passer un bon moment. C’est déjà ça, dira-t-on ; mais j’aurais aimé avoir autre chose que des platitudes.

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   Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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