Mathieu (I) : L’honnêteté du jeu vidéo

Quelle part tient la « presse du jeu vidéo » tenue par des amateurs sur l’Internet ? Bien davantage sans doute qu’à l’époque des fanzines et autres petites magazines de lycéens, et sans doute, si l’on compile blogs, sites alternatifs tels que Ze Player ou Grospixels ou même forums spécialisés qui peuvent dissimuler des perles (si, si…), bien plus que la presse sérieuse et professionnelle.

De là, quelle influence cette « presse », que je me refuse d’appeler « amateur » quand on voit la qualité de certains de ses auteurs, peut-elle avoir sur le marché du jeu et, même, sur le succès ou le désaveu d’un titre ou d’une série ?

En effet, même si je présume que les choses sont bien plus complexes que je ne puis me l’imaginer, je ne peux m’ôter de l’esprit que certains succès populaires, et que certains échecs retentissants, ont été accélérés, plus que provoqués, par cette presse-ci. On entend souvent dire que les élites manipulent les masses : mais je crois que les masses, hélas, parviennent à se manipuler elles-mêmes sans intervention extérieure. Entre parenthèses, je trouve le conditionnement exceptionnel.

Bon boulot les gars.

Bref. Cette force vive, qui s’applique autant au jeu vidéo qu’au cinéma, à la Littérature ou à l’art en général, est irrésistible et peut expliquer pas mal de choses, du succès d’ Intouchables ou à celui des derniers Call of Duty . Mais plus encore, elle remet en question la pertinence, et le travail, des journalistes et des chroniqueurs qui ont choisi d’en faire leur métier.

On sait bien, ou l’on sait de mieux en mieux, que les gens qui travaillaient dans les magazines de notre jeunesse étaient arrivés là par hasard ou par piston et que certains, que l’on ne nommera pas, en connaissaient autant sur le sujet que moi sur la culture mésopotamienne du sixième siècle avant notre ère. Ils étaient cependant des pionniers, et leur énergie, leur fougue et leur jeunesse ont tracé un chemin que beaucoup, moi y compris, suivent cahin-caha.

Aujourd’hui, il me semble que si ce n’est les journalistes qui font dans ce domaine un véritable travail d’investigation, qui vont sur les salons, interrogent les développeurs et s’occupent, globalement, des nouvelles annonces et des dates de sortie, les chroniqueurs et les « pigistes » sont de moins en moins considérés et par la professsion, et par les lecteurs eux-mêmes. Le phénomène, du reste, n’est pas limité à ce seul média : et l’Internet a sérieusement remis en question l’autorité des essayistes de tous poils, il suffit de lire les commentaires qui suivent un article du Monde ou de Rue89 pour s’en rendre compte.

Il n’est pas question ici de considérer que tout ce que ces gens écrivent est parole d’évangile, loin s’en faut : et les nouveaux systèmes de communication ont permis de mettre à jour les récits frauduleux et les raccourcis hatifs, ainsi que de poursuivre la réflexion au-delà des seules marges des journaux. Il est cependant question de regard et de précaution, de paroles : le chroniqueur « rénuméré », celui qui s’engage auprès d’un magazine et qui, en retour, se voit donner sa confiance, ne doit pas être mis au même niveau que le joueur/consommateur, aussi talentueux et précis soit-il dans sa chronique, et sa parole ne doit pas être considérée de la même façon.

La frontière, parfois, s’estompe et d’un point de vue heuristique, peut provoquer plus de mal que de bien. Si certains sites misent avant et surtout sur ce schéma « collaboratif » – Grospixels , ne citons que celui-ci pour mémoire – et s’en revendiquent, dessinent un continuum et multiplient les avis et les contre-avis au sein d’un même texte pour atteindre, illusion dérisoire, l’objectivisme le plus pur, d’autres se mélangent allègrement les pinceaux : jeuxvideo.com , qui fait pourtant référence, met côte à côte tests d’actualités faits « maisons » et tests « rétro » faits par les lecteurs, ce qui ne veut plus rien dire, et le summum devrait même aller à Gameblog qui, indépendamment de toutes les critiques que l’on pourrait faire ici, érige dans son nom même ce néant distinctif.

Tout est dans tout, tout se vaut et tout va à vau-l’eau.

Il y a eu, et il y a encore, une grande « ère du soupçon », pour reprendre une formule éprouvée, à l’endroit de la presse, de toutes les presses, y compris spécialisées : régulièrement, on dénonce les accointances, les petits cadeaux, les promotions scandaleuses ( Heavy Rain , j’écris ton nom !). Aujourd’hui, on s’avancerait davantage vers une « ère de l’akoibon », où la parole donnée n’engage même plus celui qui la prononce. Microsoft, à l’époque de la sortie de la Xbox , nous l’avait fait savoir : nous sommes des fourmis, et nous pensons en colonie.

Les Destroy, AHL, Didou et Stef Le Flou d’antan nous parlaient certes « comme des potes », mais nous les voyions comme de grandes personnes et des journalistes. Aujourd’hui, les Chocapic, les Marcus et les Chièze se prennent pour des journalistes, mais ils ne sont considérés et vus que « comme des potes », et leurs avis nous importent autant que celui de notre ami d’enfance.

Incapables alors de séparer le bon grain de l’ivraie, nous nous en remettons à ce fameux « savoir populaire » ou ce « bon sens paysan », et nous faisons le succès de jeux annoncés depuis des mois comme des futurs succès, le désaveu de jeux dont à peine les premières images esquissées, l’on nous avait dit « qu’ils n’étaient pas pour tout le monde » et « qu’ils se planteraient à l’arrivée » (généralement, il y a « Sega » écrit quelque part… Bayonetta 2 ?).

Il n’y a de surprises que de plans marketing, bien rodés et intelligents. Quand même EA annule un jeu de basket pour ne pas se frotter à un concurrent qui fait l’unanimité, n’y a-t-il pas problème ?

Que ceux qui se plaignent (il y en a) de l’état du jeu vidéo d’aujourd’hui se le disent : nous sommes tous fautifs.

Nous n’avons jamais eu que ce que nous avons voulu.

 

Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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