Quand l’industrie du jeu vidéo est traitée avec un œil critique nécessaire, ça donne un manga pas mal du tout qui n’hésite pas à montrer la face cachée d’un monde sans pitié.
Un manga qui cause de jeux vidéo, voilà une idée amusante même si le sujet a déjà été abordé à quelques reprises au Japon. Mais si un manga traite de l’envers du décor, soudainement la chose devient plus intéressante. C’est ce que propose les éditions Doki-Doki ( Branche manga des éditions Bamboo) avec Tokyo Toybox une de leur récente parution.
Tsukiyama Hoshino est un concepteur de jeux vidéo, complètement passionné, tâchant de faire des jeux amusants. Ayant connu une certaine notoriété chez le plus gros éditeur de jeux vidéo Solidus, il en claquera la porte pour être à la tête d’un tout petit studio appelé G3, qui fait des animations de machines à sous et juke box, voire quelques travaux de sous traitance. Cependant, G3 connaît quelques difficultés dirigé par ce fumiste de première, qui travaille quand bon lui semble. De plus sa passion pour les maquettes Gundam et son passé de joueur émérite en font un original puriste, souvent colérique.
Aussi est envoyée Tsukiyama Hoshino, jeune femme d’affaire complètement novice dans le monde du jeu vidéo, mais à qui a été confiée la lourde tâche de remettre de l’ordre dans les idée farfelues de Tenkawa.
Deux fortes personnalités vont devoir s’affronter: D’un côté un concepteur puriste en quête du jeu parfait et de l’autre une Marketeuse très sales manager, cherchant à faire du profit. Pas facile.
De prime abord, Tokyo Toybox est un manga au dessin particulièrement rudimentaire, limite vilain. Comme trop de publications nippones en France, on sent vraiment que surfer sur la vague manga est très lucratif pour nos éditeurs. Mais qu’importe, je suis le premier à trouver Death Note sans style et à en apprécier pleinement son scénario. Bien entendu Tokyo Toybox ne peut soutenir la comparaison au niveau de son histoire, mais l’intention d’aborder le jeu vidéo via le prisme d’une certaine triste réalité est suffisamment bonne pour qu’on y jette un œil.
Les joueurs de ma génération ne peuvent que s’attacher au personnage de Tenkawa. Les cheveux hirsute, mal rasé, et abominable chieur, il voit le jeu vidéo uniquement comme ce qu’il se doit d’être : un amusement mais de qualité, avec une âme réelle. Et qu’importe ce que peuvent penser les cols blancs qui doivent le vendre. Cet état de fait montre combien l’industrie du jeu vidéo a pu changer ces dix dernières années. D’abord artisanale avec des projets farfelus et un grand amour pour ce qu’il doit représenter, la production est passée en mode marketing à outrance où l’on défini un projet qui doit se vendre avec une potentielle suite, avant d’imaginer le jeu vidéo.
Il y a beaucoup à dire sur la narration un peu bancale de Tokyo Toybox, mais le fond est bel et bien présent : Le jeu vidéo est en crise.
Le duo UME composé de d’Ozawa Takahiro et de Seo Asako, veut par son manga critiquer ce qu’est devenu le jeu vidéo, une industrie sans âme et surtout sans pitié avec les petits studios et les joueurs. Car au final, ce sont bien des gens comme vous et moi qui une fois devant la dernière soit disante bombe sortie en magasin, tirent un visage de déception en pestant » Putain c’est chiant, c’est mal branlé ».
Cette dernière expression quelque peu triviale est reconnaissons le on ne peut plus sincère.
Le personnage de Tsukiyama Hoshino en working girl s’il est moins accrocheur, offre cependant la possibilité de voir un affrontement entre fantaisie créatrice et réalité économique. D’autant plus que la jeune femme ne connait rien au monde du jeu vidéo. Un vecteur commun rapproche pourtant les deux antagonistes : Cyber Soldier Mobiler, une série pour gamin dont Tsukiyama est fan et dont Tenkawa a réalisé le jeu.
S’il est loin d’être indispensable, Tokyo Toybox se laisse cependant parcourir avec plaisir. La localisation internationale d’un vieux jeu demandée par Solidus est le parfait exemple des pressions que peuvent subir les nombreux petits studios bien forcés de survivre en acceptant les cahiers des charges tout en perdant de leur indépendance.
On peut voir dans Tenkawa, les grands noms du jeu vidéo qui un jour ont claqué la porte à des boites prestigieuses comme Shinji Mikami ( Resident Evil, Viewtiful Joe ) de Capcom, Tetsuya Mizuguchi ( Sega Rallye, Rez ) avec Sega et plus récemment Tomonobu Itagaki ( Dead or Alive, Ninja Gaiden ) qui pour le coup attaque Tecmo en justice.
Le fantaisiste concepteur rêve certainement d’être un créatif comme Shigueru Miyamoto( Mario, Zelda etc) ou Yu Suzuki ( Outrun, Virtua Fighter, Shenmue ) qui à l’instar de ces pairs serait totalement libre.
Sa vision de ce que doit-être le jeu vidéo est parfaitement à l’opposé de ce que pensent des grands groupes comme Electronic Arts ou Ubisoft et en ça le manga devient très sympathique.
Écrit uniquement en deux volumes, on peut craindre que cette agréable surprise manque finalement de consistance, mais la suite Giga Tokyo Toybox est déjà annoncée chez Doki Doki.
Jibé, qui dans Jeu Vidéo, préfère Jeu à Vidéo
(Merci à Arnaud de chez Doki-Doki de m’avoir proposé cette lecture.)
About Jibé Jarraud
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Scribouillard dans des zines de JV et éternel amoureux de jeux nippons insensés I
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