Mathieu (5) : La prostitution du rétro

   Je voulais vous faire partager ici une réflexion que j’ai élaborée récemment. Elle est encore jeune et souffre sans doute de nombreux raccourcis, aussi j’espère que la mise en mots me permettra de corriger ces quelques défauts.
 
   Il y a quelques jours, je me suis interrogé sur la « mode du rétro » qui semble se tasser, du moins devenir moins prédominante qu’il y a quelques années. Réfléchissant alors au phénomène, je me suis aperçu qu’il pouvait être un point d’entrée intéressant pour parler du jeu vidéo dans sa globalité.
   La notion de retro-gaming, on le sait, est apparu très récemment, et je pense plus ou moins la débuter aux alentours de la sixième génération de consoles (Game Cube, Xbox, PS2). Même si l’avènement de la 3D pour tous avec la Playstation et consorts a permis de se rendre compte des qualités des jeux d’auparavant, l’amour de la « surface du rétro », c’est-à-dire des graphismes et de la musique et non du gameplay, me semble être apparu peu après. Il y a eu, alors, un premier mouvement que l’on pourrait appeler « c’était mieux avant ». Entretenu, sans doute, par des trentenaires qui subirent le blues du joueur, il s’agissait de considérer que tout ce qui était sorti avant 1995, de préférence en deux dimensions et sur les consoles et micros d’antan, était unanimement bon et formidable et que tout ce qui venait après ne méritait pas même le coup d’œil.
 
   C’est au cours de cette première période que « l’âge d’or de l’émulation », et les sites allant avec, explosa ci et là, dans une optique d’anthologie et de compilation : il ne s’agissait pas tant de jouer et de noter mais bien de thésauriser, de compléter les rom sets, de trouver les prototypes rares et de les classer. Cette période, à dire vrai, fut très intéressante : de grandes réflexions furent menées sur les pionniers et les premiers de chaque genre, ainsi que les sources cachées, ces jeux qui n’ont connu de succès à leur époque mais ont inspiré profondément les classiques suivants. Pour simplifier, l’on peut considérer qu’une émission comme Retro & Magic sur NoLife poursuit la même mouvance, de même que certains numéros de Pix’n Love. Le jeu vidéo est considéré, à raison, comme un support historiographique des plus intéressants, et de même qu’il existe des bibliophiles et des cinéphiles, des « ludophile » ne cessent de rechercher la perle rare, le chaînon manquant dans l’évolution d’un genre ou d’une console.
   Puis, peu après cette période et concomitamment aux premières vidéos de James Rolfe, qui a sans doute été l’un des pionniers de cette mouvance, du moins à la populariser auprès du public, un second temps de la « mode du rétro » vit le jour : celle de la critique et du regard, plus ou moins éclairé, sur les âges passés en révélant que tout n’était pas bon à prendre et que comme aujourd’hui, de nombreux jeux étaient passables, voire médiocres.
   Le « génie » de James Rolfe, alias l’AVGN, a été de faire sa première vidéo non pas sur un jeu dont l’intérêt était ouvertement considéré comme limité, comme une adaptation d’un film sur Nes ou un quelconque jeu obscur de la Jaguar ou du CD-I, mais sur Castlevania 2: Simon’s Quest. En effet, les trois Castlevania Nes étaient jusqu’alors considérés comme un seul et même superbe jeu, érigé sur un piédestal d’airain intouchable et inaltérable. En mettant en avant sa difficulté, ses secrets introuvables sans l’aide d’une solution et ses errements de gameplay, James Rolfe faisait certes preuve de mauvaise foi – un trait qui ne le quittera plus – mais était parvenu à « donner un coup de pied dans la fourmilière ». Le lion tremble, le monument du rétro était ébréché, ouvrant une porte vers une forme plus élevée de réflexion sur le jeu vidéo : l’aspect encyclopédique, bien que toujours présent, s’est doublé d’un aspect réflexif sur ce qui faisait l’attrait de ces anciens jeux, mais aussi ce qui les fait aussi délicats, parfois, à jouer aujourd’hui. En retour, le jeu vidéo d’aujourd’hui s’est trouvé glorifié et aimé pour ce qu’il est, une évolution agréable et bienvenue.
 
   À présent, ces deux aspects, collection et réflexion, se retrouvent pleinement dans le paysage vidéoludique, que ce soit au niveau de la critique et des divers sites ou au niveau de la conception même des jeux, certains ne s’arrêtant qu’à l’apparence du rétro sans pour autant en tirer quoi que ce soit, d’autres utilisant ses codes pour enrichir leur gameplay : la palme revient sans doute à Super Meat Boy, dont je pointais ici même le double discours, utilisant les anciens jeux à la fois comme source principale de gameplay et comme « plan nichon » à peu de frais par l’intermédiaire des cut-scenes ouvrant les différents mondes.
 
   La prochaine évolution, je le présume, commence à poindre le bout de son nez même si les choses sont encore timides : il s’agit de considérer le média jeu vidéo non plus comme une entité parcellé, ayant un « avant » et un « après » et où il serait facile de tracer des frontières aisément reconnaissables, mais bien comme un tout que l’on ne peut scinder et qui a connu, au fur et à mesure de son histoire, différentes évolutions, différents errements mais qui est et reste toujours un seul et même moyen d’expression.
 
 

    Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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