Jamais deux sans trois, comme dit le proverbe : puisque j’aime bien le tric-trac, je ne pouvais partir sans évoquer une fois dernière ce sujet. Et comme la conférence annonciatrice de la Xbox One est passée et que les gorges chaudes s’agitent, remettons encore le couvert.
Depuis le début, depuis ma première tribune, ma seconde, les autres, ce que j’appelle honnêteté, bien qu’étant un concept éminemment polymorphe et subjectif, ne saurait se réduire à la seule accointance, dirais-je, bienveillante de la presse envers les éditeurs. Elle concerne aussi, mais cela est finalement naturel, tous les propos de la presse, y compris quand elle « tacle » un éditeur qui voudrait tuer le marché de l’occasion ou nous obligerait à une connexion constante, ou même lorsqu’il lui arrive, miracle, d’avoir raison et de taper juste.
La seule question, la dernière, celle qui concerne tout autant le jeu vidéo que le cinéma, la Littérature, la musique, c’est celle-ci : peut-on faire un travail de journaliste sur un objet de consommation de masse ?
Que l’on ne me bassine pas, ici et maintenant, sur l’identité du jeu vidéo en tant qu’expression artistique ou que sais-je encore. Non que la question soit inintéressante, il m’arrive de la poser ci et là et de prendre des airs socratiques en fumant la pipe mais point n’est ici le propos. À dire vrai, je poserai la même question si je m’entichais du dernier album des Daft Punk, du dernier film de Nolan ou du dernier roman (nous l’espérons tous) de Marc Lévy. Je pense qu’il est temps de se demander, concernant cependant le jeu vidéo, si celui-ci est compatible avec un travail de journaliste au sens traditionnel du terme.
La frontière est floue, elle l’a toujours été mais elle l’est de plus en plus, entre la réclame et l’investigation, témoins ces pages qui se livrent quasi-nues dans nos canards, vantant je-ne-sais-quel produit et où se dissimule, minuscule et invisible, ce mot ignoble, « publi-rédactionnel ». Avouez, plus d’une fois vous avez dû vous sentir trahi.
J’ai tendance de plus en plus, je l’indiquais plus tôt, à être très absolu dans mes idées. On dira que c’est ma période. Mais je tends à croire que l’on ne peut pas parler de l’actualité du jeu vidéo sans faire en réalité de la réclame.
Que vous soyez raide comme la justice ou conciliant comme une Lagarde, que vous soyez plus sage qu’Hérode ou un jeune con défraîchi, que vous soyez aussi homme que l’homme peut l’être et aussi femme que la femme peut l’être, si vous écrivez un test d’un jeu sorti dans la semaine, si vous relayez une nouvelle qui vient « de tomber », si vous montrez votre visage à un événement quelconque, vous n’êtes plus journaliste, si tenté que vous l’étiez, et vous ne ferez pas de travail de journaliste. Vous ne serez qu’un instrument destiné à servir une cause autre que « l’information » que nous semblons tous chérir pourtant. Logique capitaliste, consommation, que sais-je encore, chacun sera juge. L’essentiel, cependant, ne tient pas vraiment en cela, car l’on peut être honnête bien qu’étant un salaud. Certains n’en font pas de mystères, et pourquoi s’en priveraient-ils ?
Non, l’essentiel, selon moi, est d’arrêter avec cette posture héroïque ou intellectuelle ou que sais-je encore et comprendre, une fois pour toutes, que nous sommes tous des vendus.
Cela n’enlève rien à la passion. Et cela n’enlève rien à la raison de cette passion. Le jeu vidéo, même aujourd’hui, a nombre d’attraits. L’on s’évade, l’on s’aventure, l’on palpite, l’on s’énerve, l’on s’amuse… comme jamais, à dire vrai. D’aucuns diront que l’on a perdu quelque chose en chemin, peut-être. À nouveau, je laisse la chose de côté. Mais le jeu vidéo est encore et reste du jeu vidéo.
Mais tous les discours du monde, toutes les critiques, toutes les discussions, ne pourront jamais influencer de façon significative le résultat des courses. Il n’y a de succès que de plan marketing rodé, il n’y a de déceptions que de plan marketing raté : et les sites de retrogaming, et les plus vieux, se souviennent encore des cocus des générations précédentes.
« L’honnêteté du jeu vidéo », ce n’est jamais qu’un synonyme de « l’histoire du jeu vidéo ». Et tout un chacun sait que ce sont les vainqueurs qui l’écrivent.
Je pense qu’il nous faut être conscient de cela : nous ne sommes, moi qui écris et vous qui me lisez, et ceux qui écrivent et ceux qui les lisent, que des hommes-sandwichs.
Et Jibé sera, pour une fois, d’accord avec moi : il n’y a ici d’avenir que dans le rétro.
Mathieu
About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.
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