Yace (4) : De la discipline du jeu vidéo

Jeu et discipline. Deux termes qui, à première vue, ne peuvent cohabiter que dans le plus saugrenu des oxymores.

Comme quoi, il faut parfois pousser un peu plus loin la réflexion. Car le jeu vidéo porte  un nom trompeur. Il s’agit bien de jeux, à l’évidence : l’amusement est certes le but premier qui vient à l’esprit pour qui s’adonne à cette matière.

Mais l’usage du vocable « matière » est tout à fait à propos : relevant du champ lexical scolaire, tout comme le terme de discipline, la « matière » s’éloigne déjà nettement du concept de jeu pour se rapprocher de celui de travail.

Ou comment, par une pirouette lexicale, amener un paradoxe : l’identité entre jeu et travail, deux mots qui également brillent par leur antagonisme.

Quant au merveilleux, il réside dans un fait accompli : celui de l’évasion ; évasion apportée par un univers qui, paradoxe nouveau, donne encore et toujours un plaisir ludique indéniable, même dans les jeux les plus apocalyptiques ou sinistres. Décidément, le jeu vidéo est riche de singularités.

Ce qui participait donc résolument du charme de cette activité : arriver à subtilement faire cohabiter des notions opposées, au service d’une seule personne : le joueur lui-même. Notez bien que l’usage de l’imparfait est tout à fait voulu : en effet, ces aspects délicieusement contradictoires…ont amorcé une chute libre vers les tréfonds d’une nouvelle philosophie que je n’hésite pas à qualifier de dégénérescence, voire de décadence finale sonnant le glas de ce qui faisait la spécificité de ce loisir pour adolescents prétendument attardés et asociaux !

Nul ne s’étonne de l’expression « jouer de la musique », comme si la correcte exécution d’un morceau ou lecture d’une partition était un jeu. Tout musicien digne de ce nom l’affirmera : il s’agit d’un ouvrage réclamant patience et assiduité. Pourquoi ce qui apparaît comme évident concernant le musicien ne le serait-il point autant pour le joueur, ou disons au détour d’une périphrase lourde mais explicite le praticien vidéo-ludique ?

Et pourquoi dénier à ces jeux même violents ou terrifiants leur aspect merveilleux, tandis que l’on conte les épouvantables tribulations de Hansel et Gretel, enfants orphelins, malmenés par leur nouvelle mère, abandonnés par un père faible, appâtés par leur gourmandise vers l’antre d’une sorcière ogresse anthropophage que la jeune fille fera basculer dans un four infernal où elle rencontrera une mort épouvantable ?

Un conte serait-il par essence destiné à émerveiller les enfants en dépit de sa substance ? Si tel est le cas, où se situe donc ce qui ferait déroger le jeu vidéo ?

Ces deux aspects donc, disciplinaire et merveilleux, s’exprimaient joyeusement au travers de titres particulièrement difficiles parfois et immersifs souvent. Difficulté qui n’était que le prix à payer pour le joueur décidé désireux de savourer une véritable victoire sur la machine ! Ce thème si souvent présent dans les œuvres de science-fiction trouvait dès lors une réalité : le monde du jeu vidéo, arène du combat entre l’homme et l’intelligence artificielle, tel Bowman lobotomisant HAL 9000 dans 2001 : l’Odyssée de l’Espace.

L’immersion, quant à elle, venait tout simplement du fait que le joueur, si investi qu’il était, ne pensait pas à s’interroger quant aux règles du titre qu’il pratiquait ! Qui s’est demandé comment un champignon pouvait doubler la taille d’un héros moustachu ? Quand on lit Charles Dodgson alias Lewis Caroll, se demande-t-on pourquoi Alice subit pareilles mutations, ou plutôt se laisse-t-on transporter aux agrès de l’imagination de l’auteur ?

Et bien aujourd’hui, le jeu vidéo, en quête de démocratisation, perd de cette dualité travail/immersion avec une difficulté désormais reléguée au rang de simple réglage et d’un aspect « fantastique » qui se morcelle au profit d’une triste actualité teintée de messages…messages honteusement terre à terre dans un univers virtuel qui en oublie sa mission.

Et oui, ces sublimes confusions entre jeu et travail d’un côté, puis merveilleux et sinistre de l’autre, qui étaient une part essentielle de l’appréhension des mondes vidéo-ludiques…ont soit disparu ou alors pour les optimistes, sont en train de disparaître ! Un jeu qui oublie de soumettre le joueur à la nécessaire et assidue discipline tout autant qu’il oublie de se créer un univers à lui pour s’inspirer du quotidien…ne fait rien moins que renier sa substance propre !

Et ô combien lamentable est-il qu’aujourd’hui, les fusils de Call of Duty aient remplacé les mitraillettes de Contra, ou  que des tapis de danse aient pris le dessus sur la chorégraphie d’un héros en pixels devant calculer ses déplacements pour survivre…

Alors hurlons-le sur les toits : que la nature première et ambiguë du jeu vidéo originel reprenne ses droit et triomphe du mal…incarné par cette lente mais hélas avérée déchéance !

PARADOXES DU JEU VIDEO….REVENEZ !

Yace

About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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