Ce n’est pas une nouveauté, David Cage est un peu mon marronnier ; le sujet que j’aime ressortir régulièrement depuis que ce dernier s’était un peu trop montré avec la promotion de Heavy Rain alors que période Nomad Soul et Fahrenheit, l’intéressé était on ne peut plus humble.
Forcément, un tel phénomène de « créativité » ne passe pas inaperçu, et j’avoue me l’être pris en grippe pour maintes raisons que j’ai déjà exposées sur ce site.
Toujours est-il que Quanticdream nous revient avec l’aboutissement de sa démo technique présentant l’androïde Kara qui ne voulait pas être démontée pour vivre, ou comment montrer que ces robots semblables à l’humain peuvent avoir des sentiments voire se demander s’ils rêvent de moutons électriques (roman de Philip.K Dick qui deviendra Blade Runner au cinéma).
Detroit : Become Human s’inspire donc de tout un pan de la culture scientifique quand elle n’est pas fantastique, vu que l’un des premiers êtres de la littérature qui voulait devenir un véritable enfant s’appelle Pinocchio, héros du livre écrit par Carlo Collodi en 1881.
Créer un avatar artificiel remonte à des temps bien anciens, à l’instar du Golem dans la religion Juive. Bien normal que des récits plus récents en aient emprunté les fondations jusqu’à ce que la technologie s’en empare avec la volonté d’êtres faits de métal. Exit la créature de Frankenstein trop en chair.
Ainsi David Cage et ses équipes reprennent à la sauce Quantic, un sujet assez casse gueule quand il n’est pas maîtrisé, quitte à se frotter au plagiat. C’est que Isaac Asimov est déjà passé par là tout comme Blade Runner, Osamu Tezuka pour Tetsuwan Atom/Astro Boy, Hideo Kojima avec Snatcher et ses androïdes là aussi déviants, Bubble Gum Crisis ou AD Police ouvertement hommages à tout ce qui a déjà été présenté. Quant à Terminator…
Fascination de l’évolution de l’intelligence artificielle liée à la motricité, c’est quotidiennement que l’on ne peut être que surpris ou effrayé par les progrès réalisés ces dix dernières années. Assistants personnels de téléphone devenus enceintes connectées, robots en mouvement chez Boston Dynamics, il est loin le temps on l’on s’émerveillait devant le petit chien Aibo de Sony qui devrait faire un retour opportun vu que l’humain est désormais prêt à cohabiter avec ces créatures.
Et Detroit d’emboîter le pas de manière assez maligne.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, mettons immédiatement les choses au clair : Detroit n’est pas un jeu vidéo.
Présenté comme une expérience à juste titre, n’espérez pas jouer vu que Detroit n’a aucun gameplay.
C’est parti pour le moment : » MOI J’AIME PAS QUANTICDREAM ».
Le Schtroumpf grognon n’aura pas tort sur ce point. Les habitués des productions du genre ne seront pas déstabilisés ; il va y en avoir des gestes superfétatoires. Ouvrir une porte au stick droit, se relever avec une combinaison de boutons improbable, dresser une table etc
Sans compter les nombreuses incohérences notamment pour grimper qui demande un coup d’appuyer vers le haut, d’appuyer sur X ou carrément de secouer la manette. C’est manifeste, Quanticdream ne sait pas faire de jeu vidéo au sens strict, à l’image de simples déplacement en 3D plus que laborieux. Mais nous étions au courant.
Alors on peste. Connor a beau être enquêteur que tous les indices sont sous son nez. Un coup de scanner et hop dans la boîte à condition de respecter l’ordre des choses définit par Monsieur Cage. Ben tiens…
Pire. Markus qui est bien plus cascadeur dans l’âme voit tous ses chemins d’actions imagés. Un coup de scanner et l’on voit quel est le trajet le moins risqué en simulant la discipline de parkour. Une fois choisi, une simple pression du bouton X lance la réalisation. Consternant.
Les exemples sont nombreux, trop nombreux et forts dommageables.
Vu que l’on ne va pas jouer, on se consacrera pleinement au scénario toujours annoncé comme EXTRAORDINAIRE, que l’on parcourra comme ces livres dont vous êtes le héros si populaires dans les années 80.
Detroit campe l’histoire de trois androïdes, crées par la grosse société Cyber Life. Trois personnages aux destins naturellement mêlés qui se rencontreront dans la grande ville américaine qui a subi une crise économique sans précédent en 2008, la mettant en faillite alors qu’elle était fleuron de l’automobile par le passé. Nous sommes dans un futur proche crédible en 2038. Le taux de chômage atteint les 37%, l’humain déjà en situation délicate se voit remplacé par les androïdes pour des tâches plus ou moins besogneuses, vu qu’ils sont dotés de réflexion, parole et mouvement. Une masse corvéable inépuisable qui travaillera sans se syndiquer.
Sauf que… Dans ce contexte de haine envers la machine, nos trois « héros » vont s’émanciper pour devenir autre chose que de simples éxécutants. Si dès le début l’on campe Connor brave petit soldat servile qui aide la Police, c’est rapidement que Kara et Markus rentrent en scène avec bien plus de motivation. Kara est une androïde ménagère qui aide une famille désœuvrée, dont le père alcoolique et veuf est sans emploi, à la petite fille régulièrement rossée. Qu’importe que le pauvre bougre soit désargenté, il peut s’offrir un gadget à 10.000 dollars en claquant les doigts. C’est une des nombreuses absurdités de l’écriture.
En Cendrillon des temps modernes, Kara est, frappée, réduite à jouer les esclaves dans un taudis tandis qu’une enfant se voit maltraitée sous ses yeux. Une crise trop violente, l’instinct de survie et de mère né en elle. Il faudra fuir l’odieux personnage et sauver la petite Alice.
Markus a bon an, mal an un rôle similaire mais dans un environnement nettement plus favorable. Aide soignant d’un vieil artiste richissime, son quotidien se veut doux bien que conscient d’une fronde anti androïdes. Un maître aimant qui le considère comme son propre fils et la jalousie du prodigue qui ne revient que quand il a besoin d’argent pour se payer de la drogue.
La mort soudaine du vénérable homme, Markus se voit accusé à tort par la progéniture et jeté au rebut dans une scène de casse de robots que l’on a déjà vu maintes fois.
Attristé par sa nouvelle condition de paria, il développe soudainement une aversion envers les humains qu’il ne voit que comme maîtres sans amour, qui se servent des siens comme de vulgaires valets, quand ils ne sont pas dédiés à de basses relations sexuelles. C’est décidé, Markus va rejoindre Jericho, un groupe rebelle de déviants, en prendre la tête et lancer sa révolution : Nous sommes vivants, nous avons des sentiments, nous voulons briser nos chaînes !
L’analogie au peuple noir est aisée, les androïdes parqués dans une zone réservée d’un bus, rappelle Rosa Parks qui refusa de laisser sa place à un homme blanc pour se retrouver au fond du véhicule avec les siens en 1955.
Bancal, mais baste, David Cage sait faire pleurer dans les chaumières avec de l’émotion bon marché.
Le décorum ainsi planté, nous allons incarner à tour de rôle chacun des protagonistes, et faire des choix cruciaux pour que les histoires initialement distinctes se regroupent en une seule jusqu’à l’une des nombreuses conclusions.
Kara et Alice vont tenter de s’offrir une nouvelle vie en essayant de rejoindre Jericho que Markus dirige pour fomenter des actions que Connor essaie de coincer. Et pour le coup, force est de reconnaître que ça marche correctement. Certes Detroit peine dans son écriture mal fichue et pas toujours logique. N’est-ce pas Kara qui supportant toute la rage et la violence de son Maître, devrait être écœurée de notre nature se retourner contre ses créateurs quand Markus n’a finalement que du ressenti contre celui qui l’a trahi?
David Cage nous sert une soupe convenue et sans aucune surprise et surtout propose une galerie de premiers rôles absolument pas attachants au contraire de seconds déjà plus consistants.
Mais, l’intelligence vient de l’arborescence de la progression. A la fin de chaque chapitre l’on peut voir les différents chemins à emprunter en fonction des choix. De quoi éveiller la curiosité. Et si j’avais fait ceci plutôt que cela? Ce choix était-il pertinent finalement? Dois-je regretter telle action au profit d’une autre?
L’adage » Avec des si on referait le monde « n’a jamais été aussi vrai et Detroit de réussir son pari : Interroger.
Et c’est certainement son intérêt premier. Nous questionne-t-il sur ce que l’on pense de potentielles machines demain à nos côtés? Non. D’autres œuvres l’ont fait bien avant lui et avec une autre maestria. Cependant sur une multitude d’embranchements possible déjà plus. Le seul regret étant que l’on préférera aller sur YouTube pour voir les possibilités scénaristiques plutôt que de refaire tout le chapitre. Il aurait été plus malin de pouvoir se consacrer uniquement aux scènes clefs et quelque part revivre pleinement l’expérience. Dommage.
Detroit est un objet étrange. Aucunement jeu, à l’écriture pas toujours maîtrisée, scripté à outrance avec des QTE inutiles et pourtant plaisant à vivre. S’il s’offre trop de facilités dans son déroulé, il sait entretenir une tension en ménageant son suspens sans jamais lasser.
David Cage et Quanticdream peuvent être fiers. S’il est impossible de leur accorder le titre de grand studio de jeu vidéo, il faudra saluer la performance d’abord graphique et un certain talent à vouloir proposer une alternative dans le divertissement. Dommage qu’il soit encore trop proche d’un DVD où une simple télécommande pourrait suffire, mais peut-être qu’en poussant le bouchon plus loin, le spectateur pourrait devenir acteur. L’Androïde Chloé qui nous reçoit à chaque fois que le jeu démarre en est la parfaite interprétation. Ses réactions en fonction du développement de l’histoire tout comme nos réponses à ses questions, témoigne -m’est avis – de l’orientation que devrait prendre Quanticdream pour ses prochaines réalisations.
Avec Detroit, le studio peut se positionner sur un nouveau segment en devenant créateur d’une nouvelle narration.
Tant qu’il ne parle pas de jeu vidéo et le laisse à ceux qui savent faire.
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