Ce mois-ci, cela fera trois ans que j’ai ouvert mon activité en auto-entreprise : un petit commerce de jeux vidéo d’occasion. Du jeu neuf, du récent, de l’ancien, et du très ancien. En entamant cette activité, je pensais, naïvement sans doute, ouvrir une boutique avant tout mais aussi et surtout un espace de discussion autour du jeu vidéo, pour échanger des connaissances en la matière ou des souvenirs avec des passionnés. C’était un des mes rêves.
Le réveil fut long mais cette fois, j’ai les yeux bien ouverts. Je veux arrêter.
Évidemment, en m’installant dans une petite ville, je m’attendais à une clientèle assez peu nombreuse et donc à des affaires moins florissantes qu’elles n’auraient pu l’être dans une métropole ou une galerie marchande très fréquentée. Mais le problème n’est même pas là.
Avoir affaire à de “vrais passionnés”, à des gens qui aiment le jeu vidéo, les rencontrer, parler, échanger avec eux : ça motive à continuer. C’était le cas il y a trois ans. Aujourd’hui, la clientèle se divise grosso modo en deux catégories : les joueurs actuels, ceux qui me réclament du Call of Duty 9 fois sur 10 (et qui ne veulent entendre parler de rien d’autre) et les collectionneurs.
Les collectionneurs…
Là aussi je pourrais scinder cette catégorie en sous-groupes. Il y a bien heureusement des collectionneurs qui jouent… Enfin des joueurs qui collectionnent serait plus juste ; si toutefois on peut considérer que simplement conserver les jeux que l’on aime fait de vous un collectionneur.
Des collectionneurs, des vrais de vrais, qui savent tout sur tout, qui lorgnent les sites d’enchère et d’annonces à chaque minute de leur passionnante vie, j’en ai vu défiler. Florilège.
Il y a eu celui qui m’a pris la tête une demi-heure pour échanger la jaquette de son Sonic 1 sur Megadrive avec une des miennes parce que sur l’une de celles que j’avais, le quadrillage était un peu plus large que sur les siennes.
Il y a eu ceux qui cherchaient à négocier alors qu’ils n’avaient encore rien choisi.
Il y a eu aussi celui qui s’est pointé sans dire bonjour, qui a fait le tour du magasin en cinq minutes avant de me complimenter sur des raretés que j’avais en boutique et de se vanter de sa collection perso, en m’exposant des photos sur son iPhone, sans que je ne lui demande quoi que ce soit.
Celui-là même qui m’avait littéralement engueulé dix minutes plus tard parce que, connard que je suis, j’osais vendre Fire Emblem sur GameCube 15€ SANS SA NOTICE. Scandale. Lui m’explique alors la vie : “Moi j’ai que du Mint et si j’ouvrais une boutique comme ça, ben je vendrais jamais des trucs incomplets comme ça”. Il a fallu que je lui explique à mon tour que, aussi fou que cela puisse paraître, il y existe des gens qui se foutent d’avoir la notice parce que eux achètent le jeu pour… jouer avec. Dingue.
C’est d’ailleurs encore ce même (un sacré numéro, celui-là, je vous l’accorde) qui, après s’être tâté pendant une plombe avec ses trois jeux en main, à décidé de tout reposer parce que, dixit, « il était perdant dans l’affaire”. Inutile de lui expliquer qu’avec un local commercial, les cotisations au RSI, plus les charges (assurance, téléphone, électricité…), je pouvais pas me permettre de brader les jeux et que j’étais pas non plus un vide grenier. C’était peine perdue.
Vous l’aurez compris, j’en ai vu passer, en trois ans. Et pourtant : le collectionneur arrive encore à me surprendre ! C’est ce dernier exemple en date que j’avais envie de vous faire partager. L’Un d’entre eux que je sais collectionneur (ayant déjà eu affaire à lui auparavant) qui a même travaillé dans la presse jeu vidéo il y a dix ans de ça (donc, normalement, collectionneur ET connaisseur) m’achète un jeu Nintendo 64 à 25€ parce que complet et en bon état. Et pas n’importe quel jeu : Perfect Dark. Il ouvre la boite, a un petit rictus (que je ne m’explique toujours pas) en voyant l’inscription “NEU6” sur la languette à l’intérieur, indiquant qu’il s’agit d’une version européenne et non française – chose que j’ignorais – alors que le jeu est en français mais peu importe. Il ne trouve rien à redire sur le prix, tout va bien, il le prend. Mais c’est ce qu’il a dit après son achat, en regardant au dos de la boite, qui m’a vraiment stupéfait.
“Ça à l’air sympa, ça ressemble un peu à GoldenEye”
Sur le coup, je ne sais même pas quoi dire. Le type achète un classique de la N64, l’un des meilleurs jeux de la console, sans même le savoir. Il ne le connaissait même pas. Il l’a juste acheté parce que complet et en bon état. Il n’y a sans doute jamais joué et n’y jouera sans doute jamais. Au mieux, il le revendra plus cher qu’à l’achat, au pire, il complétera sa collection en faisant rejoindre Perfect Dark avec tous les autres belles boites et notices qui moisissent sur l’étagère blindée de jeux – qui n’en sont plus, car réduits au statut de simples objets.
Finalement, je lui explique simplement ce qu’est Perfect Dark. Que c’est Rareware qui, privé de la licence James Bond (alors rachetée par EA suite au carton de GoldenEye 007) a du développer un nouvel univers et a opté pour un design plus futuriste, tout en conservant le gameplay FPS/espionnage de GoldenEye… Effectivement, il ne connaissait strictement rien du jeu. Par contre, il savait exactement où trouver les minuscules indications permettant de définir si le jeu est français, européen ou grolandais, s’il était vendu dans un Dock Games ou chez Monoprix, et quel composant ils ont utilisé pour le vernis sur le carton. J’exagère à peine.
Bref, content de son achat, il s’en va. Et moi, qui reste là encore songeur, et je ne sais plus quoi penser de cette mentalité. J’ai toutefois une certitude : je veux arrêter de vendre des jeux vidéo.
Ah zut, au fait ! J’ai oublié de lui préciser que pour débloquer le contenu du jeu en solo, il lui faut un Expansion Pak ! Bah, j’imagine qu’il doit déjà en avoir un. En boite et notice assurément…
About Mathieu Manent
Auteur de " L'Anthologie Nintendo 64 "
Twitter •
Je comprend votre désarroi… le plus marrant dans cette histoire c’est que ce soi-disant monsieur qui dit s’y connaitre ignore complètement que Perfect n’existe pas en version « française », puisqu’il est sorti à une époque ou tout les jeux N64 étaient pour la plupart multilingue et donc tous codé avec EUR/EU (seul les jeux du début de la console dispose de version FRA/FAH). Bref.
Je pense que votre ressenti est celui de beaucoup de boutiques indépendante, ou toute le monde veut tout à moins cher que sur internet, tout le monde croit tout connaître et tout le monde se déclare expert en rétrogaming.
Je vous souhaite bon courage pour votre reconversion :/
Bonsoir, je trouve votre témoignage très intéressant. N ayant jamais eu l’occasion de tenir une boutique spécialisée jeux vidéo, je ne maîtrise sûrement pas toutes les ficelles. Ce que je sais, par contre c est que j étais dans la même démarche que vous, à savoir échanger, dialoguer sur ma passion, enrichir mes connaissances, découvrir par le biais d autres passionnés des anciens titres que j avais zappe ou tout simplement pas eu l occasion de faire à l époque. Car mon but a toujours était de jouer (et pas stocker). J ai essentiellement du « loose » (terme pejoratif pour un jeu qui fonctionne). D où mon inscription sur pas mal de forums et sites Web spécialisés. J ai vite dechante quand j ai vu que la mentalité générale est basée sur qui a la plus grosse (…collection) sur la chasse à tel jeu complet en mint version suédoise avec « le seau de garantie couleur bleu ciel avec le plastique autour car c est plus classe dans sa vitrine » etc… et je ne m attarder ai pas non plus sur les gars qui sous prétexte d avoir une pièce qui degueule de jeux et consoles se permettent d avoir un jugement sur tout et surtout sur n importe quoi. Moralité j me suis cassé de ces sites et pour les échanges entre passionnés j ai également laissé tomber. Bonne reconversion
Courage ! Il reste des gens bien !
Si vous voulez en torturer un, attachez le à une chaise, yeux ouverts et forcez le vous regarder ouvrir un blister 😀
“Ça à l’air sympa, ça ressemble un peu à GoldenEye”
Et BOOUUMMM dans ta gueule.
Sans déconner, c’est vraiment triste, et ce genre de personne existe de plus en plus. Ce qui est le plus triste ça n’est pas tant les collectionneurs « non joueurs » qui le revendiquent et « l’avouent » mais ceux qui achètent comme des boulimiques, les éditions collectors et consort, du rétro, de l’oldies, du récents (ça doit même avoir un Tombi dans sa collection) et qui ouvre sa gueule prétendant TOUT connaitre alors qu’il n’a jamais fini un de ses jeux, qui joue à peine, et qui va te sortir du « ouai ce jeu c’est d ela merde » juste parce que ça a lu l’avis sur les forums. Ca oui, c’est très énervant, triste, et à gerber. Voir à donner une autre utilité au lance-flamme. Les pauvres types. Bref je peux comprendre ta réaction, moi-même j’ai bossé 6 mois en boutique et j’étais attristé dé voir tout ça. Tu as très bien résumé la chose : entre ces gens là et cette nouvelle génération qui ne jure que par les Call of et autre FIFA et GTA (attention je ne critique pas ces séries, ni les goûts de ces personnes) le monde du jeu-vidéo va mal…
Je trouve ça déprimant et super triste :/ Et c’est tout ce que j’ai à dire.
Enfin quoique, les autres jeux s’achètent bien autre part. Je veux bien que Steam existe pour le PC, mais les joueurs console ont bien encore tendance à prendre leur jeu en boîte, ça veut dire que c’est grosses enseignes et c’est tout ? Ca me déprime si ça ne reste qu’entre des mains de collectionneur qui ne semblent même pas jouer.
Et bien, merci beaucoup pour cet article , et au passage, désolé qu’il dépeigne un quotidien qui vous est désagréable.
J’ai eu ma phase collection, celle qui vous fait vivre les joies de surveillance aux limites de la paranoïa de sites d’enchères ou l’autre bonheur qui consiste à repousser toujours plus loin les limites de la profondeur du droit au découvert, en écumant , carte bleue en main, toutes ces magnifiques boutiques remplies de trésors.
Je côtoyais bien des sites et forums du genre bien entendu, rempli de gens vivant la même passion que moi. Sauf qu’au fil des années, une fracture s’est formée entre deux courant de pensées: Les collectionneurs joueurs, et les collectionneurs sous blister.
Venant d’une famille modeste au sein de laquelle l’arrivée d’un nouveau jeu se produisait rarement, par pure absence de moyens, je m’étais naturellement rangé du coté des joueurs, ceux qui ont le plaisir de se procurer un jeu qu’ils ont manqué étant plus jeune, pour enfin pouvoir y jouer.
Du point de vue des blisters, jouer à un jeu, et donc oser violer sans vergognes le film plastique protégeant la cartouche/le cd était un crime, et les disputes virant au n’importe quoi argumentaire ont fini par pourrir l’ambiance au point de rendre les forums invivables.
Tout ceci m’a lassé au point d’en revenir aux sources, vivre ma passion dans mon coin, oser acheter un jeu X ou Y sans notice ou avec une boite pas de toute première fraîcheur, sans me sentir obligé d’aller partager avec force photos ou vidéos, ma dernière trouvaille de la semaine. Et je suis ainsi pas mécontent de ne pas avoir rejoint les rangs des remplisseurs d’étagères.
Votre exemple du Perfect Dark est un cas typique de ce que je ne supporte plus du tout, et malheureusement, il y en a de plus en plus.
Bon courage, de la part d’un autre auto-entrepreneur.
Ah ah ah comment je te comprend. Pour ma part je travaille dans une boutique de grande chaine (dock games qui appartient à micromania) et j’en connais des client comme ça. Heureusement on ne fais pas de rétrogaming à la grande intercompréhension des clients. Mais le rétrogaming ne rapporte pas d’argent car trop spécifique trop