Beat the Beat : L’essence du jeu vidéo

Depuis plusieurs années à présent, je me pose cette unique question : qu’est-ce que le jeu vidéo ? Malheureusement, et contrairement à Sartre pour la Littérature, je n’ai pas encore trouvé la réponse.

Cependant, avec Beat the Beat, il me semble que le ciel s’éclaircisse : car je pense que s’il fallait un jour mettre dans une capsule temporelle, à la destination de nos arrière-petits-enfants, un représentant de ce média à la fois si jeune et si vieux, il y aurait de fortes chances que l’on choisisse ce titre de Nintendo.

 
 

Les puristes, et les connaisseurs dont je ne fais pas partie, diront sans doute que ce titre est meilleur que le précédent, sur Nintendo DS, car l’on ne nous demande ni de gratter, ni de tourner, ni de faire quoi que ce soit avec un stylet ou une wiimote ; mais ils diront également qu’il n’égale pas le génie du premier épisode sur Game Boy Advance. Je laisse le soin à d’autres d’infirmer ou de confirmer cela, et j’aimerai me concentrer sur ce que je connais, à savoir cette dernière itération.

 

Je pense qu’il n’est guère besoin, tant la campagne marketing, tout comme le buzz, a fait son chemin, de rappeler le principe de ces titres qui sont aux jeux de rythmes ce que Wario Ware est aux mini-jeux : à l’aide d’un seul bouton, ou de deux parfois pour varier les plaisirs, le joueur se doit de suivre le rythme d’une charmante mélodie. L’idée superbe est bien là : ces musiques illustrent une saynète souvent surréaliste, parfois franchement délirante, et appuyer en rythme sur les boutons permet de déclencher de petites actions et de mener à son terme un petit scénario : renvoyer des balles de golf que nous lance un petit singe, ferrer des poissons qui titillent notre appât, attraper des bonbons qu’on nous lance tout en giflant violemment les insectes… Ces petites histoires, qui ont le charme naïf et premier de l’art populaire japonais, sont brillamment mises en scène par de petits dessins animés, le tout étant coloré et faisant très “cartoon”.

Les musiques, évidemment, ne sont pas en reste : et si elles ont toutes, concept oblige, une rythmique très marquée, elles sont très différentes les unes des autres et osent même le remix façon métal, rap ou pop, de façon plus générale. Force est à parier qu’en jouant à la cinquantaine d’épreuves proposées, il y en ait une ou deux qui vous parlent davantage que d’autres.

Chaque épreuve, évidemment, est précédée d’une petite démonstration destinée à acquérir les signaux et le tempo spécifique à chaque tableau. Si les premiers ne demandent d’acquérir que deux tempos, les derniers exigent de nous d’apprendre jusqu’à 4 “temps” différents. Le jeu est ainsi construit en plusieurs “mondes” se terminant chacun par un “remix” qui combinent, et cela sans entraînement, les épreuves précédemment rencontrées.

 

Dit comme cela, rien ne semble distinguer Beat the Beat des nombreux autres jeux de rythme qui ont fleuri depuis ces dernières années. Mais il a, à mon sens, trois qualités phares qui en font un chef d’œuvre non seulement du genre, mais du jeu vidéo dans son absolu.

Tout d’abord, Beat the Beat a un feeling, une progression et un esprit résolument arcade, ce qui surprend de la part d’un Nintendo qui s’est au fur et à mesure éloigné de ses racines. Pour un peu, l’on pourrait le croire issu des studios de Sega, qui ont commis cet autre merveille que serait Space Channel 5. Ce n’est pas un hasard, du reste, si le premier Rhythm Tengoku connu une sortie en bornes, tant son principe, sa construction, son énergie est fermement liée à ces salles (jadis) enfumées.

L’on pourrait débattre de cela pendant des heures, mais je pense que le fondement, l’essence et, pour ainsi dire, la perfection du jeu vidéo, appartient à l’arcade. C’est là que le média a explosé, c’est là que nombre de ses révolutions ont eu lieu ; et même si aujourd’hui les lumières semblent davantage portées sur les consoles de salon, l’on sait tous que l’arcade reste et demeure, patiente, et fait son bonhomme de chemin.

La “philosophie” du jeu vidéo typée arcade est fondamentalement opposée du jeu vidéo console : ici, le temps, c’est de l’argent et ce de façon littérale. L’on ne veut pas s’embêter avec une intrigue, une présentation des personnages ou, encore, des dizaines de commandes à assimiler. Le joueur veut de l’immédiat, du simple : une pièce, “push start”, et nous sommes partis. Ce n’est pas tant que les commandes étaient toujours réduites à un ou deux boutons, même si les pères fondateurs de l’arcade n’en avaient généralement qu’un seul aux côtés d’un stick, mais pour pouvoir découvrir tous les mouvements, il fallait raquer.

 

Cette contrainte économique, où l’on paye pour jouer à quelque chose sans que cela ne nous appartienne, a alors invité les développeurs à simplifier leur interface. Or, l’arcade est la simplicité faite jeu vidéo.

Beat the Beat, en réduisant les commandes à deux boutons (A et A et B ensemble), revient à cet âge doré du jeu vidéo. De là, le pari initial de Nintendo, celui de faire de la Wii une console de jeu accessible même à ceux qui ne sont pas familier avec le média, est parfaitement réussi.

 
 

Ensuite, le jeu possède un concept incroyablement facile à assimiler : frapper les boutons en accord avec la musique et son rythme. D’ailleurs, c’est peut-être là l’un des rares jeux, à mon sens, où les meilleurs seront précisément ceux qui ne sont pas habitués au jeu vidéo. Car au commencement, et pour les premières épreuves, nos vieux réflexes de joueurs prennent rapidement le dessus et l’on a tendance à se fier davantage à ce que l’on voit qu’à ce que l’on entend, et les choses fonctionnent bien au début : la toute première épreuve, celle du petit singe qui nous lance des balles de golf, peut se faire, certes avec un peu d’entraînement mais pour vous faire comprendre l’idée, sans prêter la moindre attention à la musique.

Cependant, au fur et à mesure, le jeu passe par de nombreuses circonvolutions pour vous forcer à jouer avec le rythme, et non avec les animations : un obstacle vous obstrue la vue, la caméra s’éloigne brusquement, les nuages envahissent l’écran. Sans doute mon idée préférée, c’est ce stage avec le samuraï ou, brusquement, un slide-show vous relatant l’histoire se superpose à l’action. Je n’ai pu m’empêcher de sourire en songeant que cela pourrait être une critique de ces jeux qui vous imposent une intrigue, souvent tarabiscotée, au détriment de leur gameplay.

Bref, Beat the Beat est peut-être l’un des rares jeux où novices et joueurs confirmés se retrouvent sur un pied d’égalité, les premiers car ils ne connaissent pas le média, les seconds car ils doivent désapprendre ce qu’ils ont mis des années à assimiler. Bien plus qu’un Mario Party ou un quelconque jeu du genre, il est le titre à sortir lors des soirées entre amis.

Il y a beaucoup de Wario Ware dans ce que j’ai dit jusque là : simplicité “arcadienne” des commandes, concept aisément compréhensible, univers chamarré… Cependant, la version Wii n’a pas repris les gimmick de Smooth Moves, ou l’imprécision, il est vrai limitée, de la version Touched! Il manque surtout à Wario l’apport musical et instinctif de Beat the Beat, et le principe psychédélique des micro-jeux, qui s’enchaînent à une vitesse folle, peuvent frustrer certains joueurs.

 

Enfin, et non des moindres, ce jeu a parfaitement saisi que “simplicité” ne voulait pas dire “facilité”. S’il est possible en une après-midi, mettons, de débloquer toutes les épreuves, ce n’est pas pour autant que les choses sont terminées : il vous reste encore à maîtriser les tableaux, débloquer les médailles et tenter l’épreuve, stimulante mais incroyablement difficile, des “parfaits” où aucune erreur ou imprécision n’est tolérée.

Beat the Beat possède ce “gameplay mille-feuilles” cher à Nintendo, qui accumule et superpose les objectifs et les paliers de difficulté : s’il est facile de terminer le jeu une première fois, obtenir toutes les récompenses et maîtriser tous ses tenants et aboutissants demandera de nombreuses heures d’effort et de plaisir.

 
 

Accessibilité, simplicité et challenge, Beat the Beat parvient à combiner tout ce qui fait un excellent jeu vidéo dans un enrobage magnifique, coloré et joyeux, d’une localisation française irréprochable tant pour les textes que pour les titres des épreuves.

Il est, à n’en point douter, un chef d’œuvre du média. Ne vous laissez pas abuser par son apparente naïveté, et ne le repoussez pas trop tôt, disant qu’il ne s’adresse qu’à des gamins : car je trouve qu’il y a plus de gloire à respecter le tempo de ces maudits singes qu’à appuyer sur quatre boutons pour grimper au sommet d’un immeuble, comme dans un Assassin’s Creed.

 

Jouez à Beat the Beat. Compte tenu du public attendu, force est à parier que son prix va fondre comme neige au soleil d’ici quelques mois avant que, génie du marché, son coût n’explose car l’on aura soudainement découvert sa valeur.

En tous cas, ce jeu m’a convaincu de deux choses : tout d’abord, que la Wii fait une fin de carrière magnifique, entre Xenoblade, Pandora’s Tower et autres ; ensuite, qu’elle propose des jeux uniques, bien trop rares dans le paysage d’aujourd’hui et qui sont la quintessence du média.

 

Je sais aussi qu’en disant ça, je me bats contre des moulins à vent. On est nombreux à le penser pourtant : la Wii est peut-être la meilleure console de sa génération. Mais cela, on le dira dans quelques années, quand les arrivistes voudront refaire l’histoire.

(Voix de fan-boy de dix ans surexcité et chuintant) « Oh mon Dieu, ch’est la meilleure console du monde ! » – bave, bave.

 
 

Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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