Il y a de cela quelques jours, et parce que je ne voulais pas passer à côté du phénomène qui sévit depuis un bon mois à présent sur Internet, j’ai acheté la version PC de Super Meat Boy. J’ai relativement bien avancé afin de m’en faire une opinion, j’ai lu des articles à gauche et à droite bref, je suis un homme « au courant », comme qui dirait.
Je rassure immédiatement ceux que le titre de l’article auraient effrayés ou encolérés. NON, je ne vais pas parler de la jouabilité, parfaite au possible ; NON, je ne vais pas parler de la difficulté, progressive et jamais frustrante ; NON, je ne vais pas parler des graphismes, qui remplissent leur office, de la musique, que je trouve excellente ou encore de l’histoire, qui est, avouons-le, inexistante, et c’est tant mieux.
Je m’en vais parler plutôt de ces petites choses, de ces petits détails qui viennent, au fur et à mesure, ruiner mon expérience de jeu, alors parfaite. C’est un peu comme la jouabilité de Donkey Kong Country Returns ou Navi dans Ocarina of Time : des petits détails qui paraissent être sur le papier de bonnes idées mais qui s’avèrent, me concernant tout du moins, on ne peut plus perfectibles et même, sous certains aspects, ratés. Je tiens à préciser qu’ils n’entravent que peu le plaisir de jeu dans sa globalité : mais à la longue, ils fatiguent et énervent.
HEY LISTEN HEY LISTEN HEY LISTEN HEY LIST….
Trop de références tue la référence…
Je m’en vais faire ici beaucoup de comparaison avec un autre jeu indépendant, qui connut son heure de gloire en 2008 mais qui, parce qu’il poussait le vice bien plus loin et qu’il ne dépassa jamais le stade, pourtant bien avancé, d’une version « bêta », n’eut jamais la reconnaissance du public dans sa globalité. Le fait que, du reste, il ne sortit jamais sur les plates-formes de téléchargement n’aida en rien ; et le fait surtout qu’il utilise, sans les déguiser, de nombreuses références à de nombreux jeux dont il reprend musique, sprites et sons l’empêcha définitivement de se faire connaître sinon d’une poignée d’individus.
Ce jeu, il s’agit de I Wanna be the Guy. Pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agit d’un jeu indépendant se présentant sous la forme d’un plateformers en deux dimensions dans la plus pure tradition. La particularité du jeu reste son extrême difficulté : absolument tout peut vous tuer. Et les pièges sont le plus souvent impossibles à repérer : plus que jamais, il s’agit de Die & Retry.
Si je vais faire de nombreuses références à ce jeu au cours de cet article, c’est parce qu’il partage avec Super Meat Boy de nombreux concepts : une grande difficulté, des mécaniques de jeu assez proches (bien que IWBTG utilise davantage la technique du « double saut », il peut également rebondir sur les murs) et, ce qui m’intéresse dans ce chapitre, des références appuyées aux jeux vidéo d’antan, de la période 8 et 16 bits.
Il est connu de tous que les introductions des différents chapitres de Super Meat Boy, que les warp zones et consorts sont des « réécritures » de fameuses introductions de l’histoire du jeu vidéo : Street Fighter II, Castlevania, Adventures of Lolo etc. Si vous jouez, ou si vous regardez des vidéos de IWBTG, ces références vont vous paraître plus immédiates : musiques issues de Mega Man II, Link du premier The Legend of Zelda qui sert de plate-forme, sans parler des boss qui seront, en vrac, Mike Tyson de Punch-Out!!, Dracula de Symphony of the Night ou encore Mother Brain de Metroid. Cependant, il y a une immense différence de traitement entre l’utilisation de ces appels. IWBTG les utilise comme mécanisme de jeu à part entière afin de varier les situations : le monde de Mega Man sera pour le joueur l’occasion de se confronter à ces fameux blocs apparaissant et disparaissant en rythme ; le château de Dracula le confrontera aux fameuses tête de méduse, etc.
Le Premier boss de I Wanna Be The Guy.
Super Meat Boy utilise ces références « parce que le rétro c’est trop cool lol« .
Que l’on ne se méprenne, je ne porte aucun jugement d’aucune sorte sur les créateurs du jeu. Et précisément parce qu’ils ont inclus tant de références spécifiques (en effet, pourquoi Ninja Gaiden et pas, mettons, Metroid ?), cela tend à prouver qu’ils apprécient ces jeux. Mais les afficher de façon aussi ostentatoire, à la façon d’un coup de coude dans les côtes et, surtout, ne strictement rien en faire montre que ces gars-là sont des génies : ils ont compris que le retro marchait ces jours-ci, et ont donc saupoudré leur jeu de ceci et cela. Le rétro était pas mal de choses : à présent, le voilà devenu le « plan nichon » du jeu vidéo.
Cela est d’autant plus surprenant que les cinématiques clôturant les différents chapitres, ou annonçant les boss sont, quant à elles, très intéressantes et même assez culottées, comme celle annonçant le boss du Chapitre 4, composé des cadavres de nos tentatives précédentes.
J’avoue que cela est un détail dans un océan de bonnes idées : mais je ne puis trouver d’autres explications à ces phénomènes. J’aurai trouvé bien plus pertinent que SMB fasse, à l’instar de IWBTG de ces références des points de départ vers de nouvelles énigmes. Il est frustrant de voir qu’un appel, par exemple, à Adventure of Lolo n’entraîne strictement aucun retour sur les mécanismes de ce fameux jeu ; et tandis que l’on croyait avoir affaire à une porte d’entrée, à une clé, l’on se retrouve face à une douloureuse impasse.
Trahir ses convictions, c’est se prostituer
Il est un autre élément que j’aimerai ici faire partager : mais ce « défaut » découle profondément de la remarque précédente. De fait, je m’y attendais quelque peu. Refaisons un petit tour du côté de IWBTG.
Ce dernier fonctionne, à l’instar de nombre de jeux d’aventure de l’époque Thompson, sur un principe « d’écran » : il n’y a en effet aucun scrolling d’aucune sorte dans ce jeu. Le personnage progresse d’écran en écran, et l’on peut dire que chacun consiste en une « énigme » qu’il convient de résoudre (cela n’est pas vrai systématiquement, puisque certains pièges durent sur plusieurs écrans, mais c’est le principe fondateur). Cependant, étant donné que, du fait des références, les pièges et leurs traitements évoluent, pas deux énigmes ne se ressemblent : et ce qui était alors une contrainte devient une preuve d’ingéniosité.
Super Meat Boy fonctionne aussi, partiellement, sur ce système, si ce n’est que le héros ne « change » pas d’écran, puisque chaque niveau d’un chapitre consiste en un écran. Dès le début du stage, l’on aperçoit, au loin ou au contraire très proche de nous, « Bandage Girl » ; et l’énigme consistera, bien entendu, à l’atteindre puisque souvent le chemin désigné est évident. La difficulté ne réside pas, comme dans IWBTG dans la recherche de la solution, mais bien dans son application. Mais rapidement cependant, les écrans gagnent en hauteur, en largeur : et si les premiers stages peuvent se résoudre en moins de dix secondes, les derniers demandent le triple voire six fois plus, dépassant le cap de la minute.
Hors, c’est bien ici le problème. La difficulté du jeu finit par ne plus augmenter à cause de nouveaux pièges ou dû à la position de ceux-ci, mais bien parce que les niveaux gagnent en longueur. Et cela a pour origine non seulement le fait que les pièges se répètent, mais surtout parce que les concepteurs ont eu, très rapidement, de très bonnes idées. Et à compter du, mettons, deuxième chapitre, il n’y a rien de neuf. Il faudra attendre les warp zone pour apercevoir des idées plus intelligentes et qui gardent, surtout, la contrainte de l’écran unique. Et je ne comprends pas pourquoi, justement, les niveaux « classiques » et ces niveaux « spéciaux » n’ont pas été échangés entre eux : le jeu aurait gagné en complexité et surtout en intérêt. Car on finit bientôt par mourir non parce que le piège serait vicieux, mais bien parce que l’on nous demande, pendant près d’une minute, d’être d’une perfection absolue. Le jeu demande une exigence particulière et trahit les termes du contrat qu’il nous avait proposés de prime abord.
À nouveau, ce « défaut » est rapidement balayé d’un revers de la main, car le respawn n’est jamais frustrant. Mais progressivement, l’on se rend compte que les exigences du jeu se transforment parfois en test d’endurance, alors que l’on nous demandait des réflexes : cela est bien dommage selon moi. IWBTG, pour achever la comparaison, propose une alternative intéressante : des niveaux de difficulté qui n’agissent que sur le nombre de points de sauvegarde disponible en cours de jeu, sans rien changer aux pièges qui le composent. Cela permet de proposer un challenge plus relevé à ceux qui le désirent sans prendre le joueur au piège par un principe qui aurait changé en cours de partie.
Pourquoi trois vies ?
Ceux qui auront lu le blog des développeurs seront sans doute tombés sur un ou deux articles réfléchissant sur le game design, et notamment sur les particularités du jeu : l’un de ces articles, en particulier, traite de la notion de frustration en comparant comment le game over a été traité au cours de l’histoire des jeux vidéo, des bornes d’arcade jusqu’aux productions les plus récentes. Et ils mettaient précisément en avant une idée que l’on pourrait résumer par l’image de la « balance ». Sur un plateau, la difficulté ; sur l’autre, la punition en cas de game over.
Plus la difficulté est légère, plus la punition est lourde, et réciproquement. De là, Super Meat Boy incarnerait un « extrême » en la matière : la difficulté se fait incroyable, mais la punition est médiocre, puisqu’il n’y a pas de compteur de vies, et que l’on reprend de façon quasi-instantanée au début du stage après un décès ce qui est une des principales qualités qui font de ce jeu un succès indéniable, et un chef d’œuvre de l’histoire du genre. Et pour une fois, je dirai qu’il améliore le grand défaut de IWBTG ; car dans ce dernier, à chaque fois que l’on meurt (ce qui arrive très, très régulièrement), plutôt que de repartir aussi sec au dernier check-point, l’on a droit à l’affichage d’un écran de « GAME OVER » avec une musique rock qui défile. Amusant la première fois, détestable dès la cinquième, surtout quand on meurt sur le même obstacle encore et encore.
C’est dit avec tellement d’énergie que ça en devient presque un objectif….
Mais les choses changent pour les fameuses warp-zones dont je parlais plus haut. En effet, elles se composent, pour les « classiques » de trois stages et d’un seul, plus vaste, pour les glitch zones. Seulement, on ne possède pour chaque stage que de trois essais. Trois morts, et… on retourne à la carte. Sans autre punition. La warp-zone est encore accessible, le pourcentage ne descend pas, rien du tout. On appuie donc sur la touche « entrée », et on recommence la zone.
J’avoue que cela me dépasse. Pourquoi ne pas avoir appliqué la même règle qu’aux niveaux « classiques » ? Surtout que les niveaux permettant de débloquer de nouveaux personnages n’ont pas cette restriction issue d’on ne sait où. Je sais bien que ces warp-zones, à l’exception de quelques « pansements » à récupérer à gauche et à droite, n’influent guère sur le 100% de chaque chapitre : ils ne sont là que pour pousser le challenge un peu plus loin. Mais c’est là une mécanique que je ne saisis pas, et encore une fois, comparons la chose avec IWBTG. Dans celui-ci, il existe des items dissimulés dans des salles plus ou moins cachées, et qui sont très difficile d’accès. Mais il y a toujours, si ce n’est dans le mode « IMPOSSIBLE » qui supprime tous les points de sauvegarde (il y a une vidéo d’un japonais terminant ce mode, et on sent la nervosité dans sa voix… et il pleure lors du générique de fin, c’est on ne peut plus poignant), un moyen de sauvegarder juste avant d’essayer de l’obtenir. Le pacte est respecté, les joueurs sont contents, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Bref, un choix de gameplay des plus curieux, surtout quand on a lu les avis des développeurs sur cette question des vies illimitées… et même encore maintenant, je ne parviens pas à comprendre l’intérêt. Pourquoi ne pas avoir fait de même pour les boss ? Ou même pour le dernier chapitre, composé d’uniquement cinq stages ?
Et surtout, la question lancinante… pourquoi trois vies ? Pourquoi pas cinq, dix ou même une seule ? Quitte à pousser le challenge, pourquoi ne pas explorer l’idée jusqu’au bout ?
Je vais finir par être vu comme une langue de p…
Que cet article, surtout, n’aille pas vous faire penser que je suis un pharisien incapable d’apprécier un bon jeu quoi qu’il advienne. Je suis un grand fan de Super Meat Boy, et je le trouve des plus aboutis, autant que pouvait l’être Braid il y a peu, et autant que je peux trouver I Wanna Be The Guy prouvant, à ceux qui pourraient encore en douter, que la scène indépendante est bien plus active, et intelligente, que les éditeurs « classiques » qui manquent cruellement d’idées pour se renouveler.
Mais je ne sais supporter l’idée d’une critique unanime, disant qu’il n’y a rien à ajouter, ni rien à retrancher à un jeu, aussi parfait est-il : c’est pourtant l’opinion dominante concernant Super Meat Boy, et je me sentais comme amené à écrire cet article afin de traiter de ces points qui me semblent intéressants à étudier.
Et je ne peux encore que féliciter, mieux, qu’admirer les développeurs qui déclarent ne point vouloir faire un Super Meat Boy 2 car ils ont déjà exploré toutes les possibilités. Le deuxième point de cet article leur donne raison, mais à rebours dirais-je : seule fois, il me semble, où les créateurs furent plus avisés que leurs fans.
Mathieu
About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.
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