Comble de l’ironie : alors qu’on le disait mort il y a de cela moins de dix ans, le jeu d’aventure type point’n click n’a peut-être jamais été aussi vivant grâce, évidemment, à la scène indépendante qui a permis à de jeunes développeurs, ou à des programmeurs confirmés, de tenter leurs chances et de proposer de nouveaux titres dans la droite lignée des Monkey Island, des Gabriel Knight et autres Broken Sword.
Qu’ils utilisent une esthétique proche du dessin animé comme Pendulo Studio, le charme désuet de l’animation flash comme Amanita Design ou de bons gros pixels, les joueurs n’ont jamais eu autant le choix qu’aujourd’hui.
Pour cet article, je m’en vais parler d’une nouveauté, car sortie il y a quelques jours à peine : Resonance, un genre de thriller d’anticipation ma foi très intéressant et très bien ficelé.
Mais il y a une règle sur ZP, et en tant que playeur, je ne peux m’y soustraire : pas de test, pas de critique conventionnelle.
Alors, je vais faire une pirouette : je vais vous parler de Resonance, mais non pour vous convaincre qu’il est formidable, mais bien pour dire qu’il ne fait que répéter ce qui a déjà été fait maintes fois auparavant.
Et c’est même là sa qualité première : ses influences et son intertextualité. Car je vais vous faire un aveu : que ce soit en musique, en littérature, en cinéma ou en jeu vidéo, j’en ai marre de l’originalité. Cela me débecte. Me vomit. M’insupporte. C’est le grand mot d’aujourd’hui : il faut faire du neuf.
Et pourtant, toute la culture humaine jusqu’à présent n’a jamais été que réflexions, réécritures, palimpsestes d’œuvres passées. « Des nains sur les épaules des géants », pour reprendre une fameuse formule.
Depuis vingt ans, peu ou prou, mais cela à tendance à s’accélérer dans le monde du jeu vidéo, les développeurs, programmeurs, éditeurs, ne désirent que faire du neuf et ne s’intéressent finalement que peu à la perfection, au polissage et à l’adaptation des concepts passés. Après, l’on pourra me citer « Nintendo »… mais la frontière est parfois ténue entre recyclage, anachronisme et création, et je ne désire pas rentrer dans ce débat.
De fait, l’on erre aujourd’hui de mode en mode, de vue à court-terme à vue à court-terme : et il suffit de regarder les conférences du dernier E3 pour s’en convaincre. Proust de le dire bien mieux que moi : « Et les modes changèrent, étant elles-mêmes nées du besoin de changement. » De là, qu’il est bon, en ces temps-ci, de se replonger dans un jeu nouveau qui reprend à son compte les gloires passées.
Resonance se présente comme un point’n click dans la lignée, peut-être, moins des gloires de Sierra ou de LucasArts que des Broken Sword : on y voit alors un écran libre de toutes commandes ou presque, et de gros personnages pixellisés se déplaçant dans des décors de cachet réaliste. Peu de passants dans les paysages, mais de nombreux protagonistes : ce n’est en effet pas un ou deux, mais bien quatre personnages que le joueur devra contrôler, tour à tour ou simultanément, pour résoudre une vaste affaire dont je ne piperai mot pour ne rien dévoiler, mais qui n’est pas rappeler certaines thématiques des Watchmen.
Les énigmes, quant à elles, piochent largement un peu partout : de la logique élémentaire des Broken Sword ou des Gabriel Knight à la circonvolution mathématique ou lexicographique à la Myst jusqu’aux dialogues savoureux de Croisière pour un cadavre. Je crois même voir dans certaines scènes des relents de Weird Dreams.
Resonance est un jeu empruntant non seulement son fond, mais également sa forme : l’interface, claire, partagée entre clic gauche et clic droit, est un classique du genre ; le système de points ravira les nostalgiques de Space Quest ; et celui des menus « STM » et « LTM », respectivement « Short-Term Memory » et « Long-Term Memory », où viennent se loger, par un élégant cliquer-déposer, les éléments du décor qui pourront être utilisés au cours des dialogues, nous renvoie au système d’indices de Discworld Noir.
Etc., etc. Je pourrai continuer encore. Resonance est un jeu qui appelle ses sources, parfois avec force, parfois avec discrétion, mais qui les accepte et les mélange pour produire quelque chose de fort réussi : c’est là un acte créatif pur et intelligent. Tout, dans ce jeu indépendant, respire le travail bien fait et le sens du détail : les dialogues, nombreux, sont intégralement doublés et convaincants. Les énigmes, souvent tarabiscotées, m’ont fait hurler de désespoir devant mon ordinateur ces dernières nuits, sensation que je n’avais pas éprouvée depuis plusieurs années. La musique, oppressante, sait construire ses effets bien mieux que celle de Machinarium, jeu pour lequel j’ai beaucoup d’affection par ailleurs.
Et le scénario, le scénario ! Quelle cruauté, mais je ne puis vous révéler exactement ses tenants et aboutissants, tout au plus vous dire qu’elle vous surprendra plus d’une fois et vous fera pleurer de rage. J’oubliais, en passant : mais l’on retrouve là quelque chose qui s’était perdu, en cours de route, à savoir les « fins alternatives ». Ici, ce sont bien trois choix distincts, aux conséquences fort différentes qui vous attendent.
Resonance est un jeu magnifique, qui va se bonifier avec le temps. Parce qu’il utilise des graphismes déjà vieillis, ils ne vieilliront plus ; parce que le cheminement, au milieu de l’aventure et qui renvoie à la quête de la carte de Monkey Island 2, est parfaitement libre et laissé à la discrétion du joueur ; parce que certaines énigmes, notamment celles en appelant à la logique la plus pure, sont générées aléatoirement à chaque partie ; parce que, enfin, le dernier choix que l’on vous demande de faire vous tiraillera, tant le « bien » et le « mal » peuvent prendre de nombreuses formes ; à cause de tout cela, Resonance est à faire et à refaire.
Il possède, du reste, une qualité rare mais qui est la marque des grands jeux : il ne vous jette pas à la face ses symboliques, ses questionnements, sa « grandeur interprétative ». Non, il vous laisse les découvrir. Se jouant comme un p’n c d’enquête, se plaçant dans un univers d’anticipation (peut-être dix à quinze dans dans le futur), il se déguste comme un joyeux roman d’Asimov ou de Dick. Mais les amoureux de ces grands auteurs savent bien ce dont il retourne : passée l’histoire acide se cache la réflexion existentielle.
Je terminerai ainsi ce papier sur ces mots, peut-être : Resonance renvoie tout autant aux gloires du jeu vidéo qu’aux androïdes qui rêvent de moutons électriques, ou aux humains trop humains. Combinant à la fois l’intelligence de son genre et la sagesse de ses pairs, il est une de ces trop rares occasions où la poésie se confond à la morale.
Jouez à Resonance. Perdez-vous dans les notes de son ambiance, dans les couloirs de ses complexes, dans les chiffres de ses énigmes. Et quand bien même l’aventure paraît courte, elle sait se faire intense.
Si ce jeu n’est pas un chef d’œuvre, il doit en être sacrément proche.
Mathieu
About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.
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