Interview : Ben Shinobi

Il est de ces joueurs, qui dépassent les limites du jeu vidéo, qui les terminent les doigts dans le nez, qui font des scores de folie, voire qui avec une vie une seule, en font le tour! On les appelle Superplayers et ça tombe bien, Ben Shinobi est de ces champions.

Jibé: Bonjour Benjamin, avant de commencer l’interview, j’aimerai savoir pourquoi affubler ton prénom de Shinobi? Est-ce que c’est ton jeu préféré, ou juste un hommage appuyé à ce jeu de Sega?

Ben Shinobi : Salut Jibé ! Moi qui pensais garder ce secret pour moi…Bon alors c’est un hommage entre le jeu d’arcade mythique de Sega et StarWars. Pourquoi StarWars, parce que je suis fan du personnage d’Obiwan, aka ben-kenobi dans l’épisode IV interprété par Sir Alec Guiness.

Jibé : Tu as commencé les jeux vidéo vers quel âge et avec quels jeux marquants?

Ben Shinobi : J’ai démarré vraiment très jeune, je ne sais plus trop vers quel âge tellement c’est loin maintenant. En fait, les premiers jeux m’ayant marqués sont tout simplement les premiers jeux vidéos de l’histoire.

Space Invaders, Pac-Man, Galaga, Donkey Kong et Frogger sont principalement les premiers jeux vidéos  auxquels j’ai joué. Bizarrement, j’ai commencé à jouer en arcade au début des années 80 alors que j’étais encore tout jeune (5-6 ans). En 1983, mes parents ont acheté notre premier ordinateur qui marquera toute ma jeunesse : le Commodore 64.

Sur cette bécane techniquement monstrueuse (pour l’époque), j’ai vraiment fait mes premières armes. J’avais au moins entre 500 et 600 jeux (la plupart piratés), mais à l’époque je ne cherchais pas la performance, lorsqu’un jeu me semblait trop difficile, je passais à un autre. En fait, c’était surtout en arcade que je jouais la performance : je ne connaissais pas les jeux et je mettais de l’argent dans les bornes donc il fallait bien se donner à 100% et ne rien lâcher pour aller le plus loin possible. Le premier jeu que j’ai one crédité ( terminé en un crédit )  était Cabal à l’époque.

Ce n’était pas le plus dur mais vraiment très fun à jouer. Sinon, je jouais beaucoup à Shinobi, Green Beret, Kung Fu Master mais je n’ai jamais réussi à les terminer (à l’époque du moins).

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Jibé : Passons à présent au Super Play si tu le veux bien. Tu es connu comme étant un joueur émérite mais quelle idée t’es passée par la tête pour commencer un jour cette quête de l’absolu?

Ben Shinobi : Pour bien remettre dans le contexte, j’ai joué aux jeux jusqu’au début des années 90 et puis j’ai fait une pause, je suis passé à autres choses. Lorsque j’ai décidé d’y revenir vers 1997-98, je n’avais plus l’envie de passer mon temps à découvrir les jeux modernes. La 3D a terriblement appauvri les jeux en terme de gameplay.

J’avais connu une époque où chaque jeux possédait un nouveau gameplay. La 3D est arrivé et tous les jeux ont commencé à se ressembler les uns les autres. J’ai donc décidé de revenir à d’anciens jeux que je n’avais pas « terminé » à l’époque. J’ai eu un déclic un 2002 lorsque j’ai découvert Radiant Silvergun. J’ai trouvé le jeu somptueux même si je ne comprenais rien du tout au gameplay.

J’ai donc décidé de visionner une démonstration du jeu en VHS faite par un joueur Jap nommé T3-Wiz. Cette vidéo fut une révélation pour moi et j’ai commencé à comprendre tous les mécanismes du scoring. J’ai donc logiquement recherché à jouer de la même manière : apprendre les patterns qui me permettraient de scorer efficacement.

Jibé : Et qui chez Nolife a décidé de faire de ton talent, une émission ?

Ben Shinobi : En fait, pour les superplay de Nolife, c’est Alex qui en a eu l’idée. il avait ça en tête depuis un bon moment déjà . J’avais déjà fait un essai de commentaires lors du reportage sur Metal Slug. le problème, c’est que j’avais fait ça tout seul. et faire un monologue pendant 40 minutes, c’est pas trop mon truc.

L’idée d’Alex était donc de faire un commentaire du joueur qui serait questionné par un présentateur: Julien alias Radigo.

Réaliser des superplays était aussi pour moi une manière d’aider les joueurs en détresse. Je me souviens de l’époque où je lisais le magazine « Tilt », il y avait une rubrique d’aide qui m’a beaucoup servit. Je lis souvent sur divers forums que de nombreux joueurs se plaignent de la difficulté extrême de certains jeux. Les superplays sont donc pour moi une manière de répondre à tous ces joueurs qu’aucun jeu n’est totalement injouable.

Jibé : Avec quel jeu as tu fais tes armes?

Ben Shinobi : C’est difficile à dire, il y en a eu tellement ! En fait, je ne suis pas sur d’avoir fait mes armes sur un jeu en particulier. Faire une performance, c’est surtout avoir un état d’esprit qui consiste à ne jamais abandonner même devant une difficulté très élevée. Il y a une personne qui m’a donné cet état d’esprit. Quand j’étais gamin, ma mère faisait des performances extrêmes sur des jeux incroyablement difficiles comme Skweek (ST), Starquake (C64) ou encore Bubble Bobble (C64). Je trouvais ça renversant, car j’étais incapable d’en faire autant à l’époque.

Pour en revenir à moi-même, je pense que Radiant Silvergun et Metal Slug sont principalement les premiers jeux sur lesquels j’ai cherché la performance. Quand j’y repense, je me rends compte que je faisais déjà de bonnes « perfs » quand j’étais gamin sur des jeux comme Boulder Dash (C64), Rick Dangerous (ST), Lemmings (ST)…

Jibé : Comment décides tu de faire un superplay sur tel ou tel jeu?

Ben Shinobi : Il n’y a pas 36 solutions ! Pour faire un superplay, il faut d’abord être passionné par un jeu en particulier. Aimer un jeu n’est pas suffisant, il faut que ce jeu fasse partie de vous-même pour en tirer le meilleur. En fait, il faut surtout aimer la difficulté dans le gameplay.

Jibé : Une fois le jeu choisi, comment se passe l’entraînement?

Ben Shinobi : Préparer un superplay, ça veut dire ; être capable de rester plusieurs semaines (voir plusieurs mois) sur un même jeu. La patience est probablement la qualité la plus importante pour arriver à s’entraîner. Je me souviens d’un passage dans R-Type (dans stage le stage 7) où je me suis entraîné pendant plus de 12 jours à un endroit particulier où il fallait faire du « leeching » ( Technique qui consiste à optimiser son score à un endroit précis du jeu).

Ce passage durait entre 15 et 20 secondes, donc tu peux t’imaginer ce que ça représente de t’entraîner sur une section comme ça pendant 12 jours. Je peux d’ailleurs remercier l’émulation (mame) qui permet de s’entraîner

Jibé : C’est combien d’heures de jeu en moyenne pour réussir?

Ben Shinobi : Difficile à évaluer ! Tout dépend des objectifs. Il y a plusieurs types de superplays : 1 Crédit, No miss, Scoring, Speedrun… La difficulté varie en fonction de l’objectif visé mais aussi de la difficulté du jeu. Le scoring est pour moi le plus complexe des superplays et demande une connaissance énorme du jeu. Pour te donner des exemples, je suis à environ  3000 heures d’entraînement sur Radiant Silvergun (depuis 2002) alors que 3 jours seulement ont été suffisants pour retourner R-Type Leo.

Jibé : Quand on voit tes superplays sur des jeux éxigents comme Metal Slug ou Ghouls n Ghosts, on se dit que tu n’es pas humain, pourtant tu y arrives. Quels conseils donneraient tu à un joueur qui veut se risquer à ce genre d’exercice?

Ben Shinobi : Comme je te le disais un plus haut, il faut d’abord être passionné par le jeu. Ensuite, la patience est une condition obligatoire pour s’entraîner correctement. Il faut accepter de perdre de nombreuses fois pour enfin finir par réussir. Metal Slug et Ghouls’n Ghosts sont des jeux avec assez peu d’incertitudes donc si on apprend et si on répète les patterns par cœur, on finit par anticiper les pièges.

Je fais souvent la comparaison avec le piano : pour maîtriser une partition, il faut répèter ses gammes. Et bien c’est la même chose avec un jeu où il faut répéter de nombreuses fois les patterns.

Jibé : Le super play se joue seul, mais un joueur de ton niveau s’adonne t-il au VS Fighting?

Ben Shinobi : Non, bizarrement je préfère le combat entre l’homme et la machine. C’est important pour moi de me sentir supérieur à cette machine même si je sais que derrière, il y a tous ces hommes qui ont programmé le jeu. Ça peut paraître paradoxal mais je fais des superplays pour rendre hommage à tous ces programmeurs de génie.

Jibé : Quels sont les jeux où tu te classes à un haut niveau mondial?

Ben Shinobi : Tous les jeux où je cherche le scoring comme Shinobi, Bubble Bobble, Radiant Silvergun, Green Beret, R-Type, Ghouls’n Ghosts, Top Secret, Altered Beast, Shadow Dancer, Bomb Jack… Il y a aussi de nombreux jeux où je pourrais améliorer le leeching pour bloquer le compteur, mais ce sont des techniques de jeu assez ennuyeuses. Mon objectif à travers mes superplays est avant tout me faire plaisir. Je n’ai jamais cherché à impressionner quiconque excepté moi-même.

Jibé :  Quels sont les jeux qui te résistent encore et qui t’agacent?

Ben Shinobi :  Les dan-maku ( Shoot them up avec énormément d’ennemis et de tirs)  ! J’ai cherché à plusieurs reprises de m’y mettre mais je ne suis vraiment pas à la hauteur. J’ai beaucoup de mal à me concentrer sur la hitbox ( Masque de collision)  Je regarde souvent des superplays sur des jeux comme Battle Garagga, Dodonpachi, Ketsui…Je trouve ces performances quasi inhumaines. Lorsque je joue à un jeu, j’aime avoir le temps de réagir à une situation donnée, or dans un dan-maku, le temps de réaction est trop rapide pour moi

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Jibé :  Une idée sur ton prochain Super Play?

Ben Shinobi : Actuellement, Je travaille sur Rainbow Islands, je viens de passer la barre des 70 millions.
Sinon, je pense reprendre des jeux comme Kung Fu Master, Gradius, Cabal et améliorer mon scoring.

Jibé : Parlons Hardware, sur quelle machine réalises tu tes exploits?

Ben Shinobi : Elles sont diverses, j’ai beaucoup joué sous Mame en enregistrant les fameux INP. Mais l’émulation à ses limites et je trouve que Mame lag énormément. L’émulation à l’avantage de pouvoir sauvegarder à n’importe quel endroit du jeu : c’est donc l’idéal pour s’entraîner. Sinon, je joue et enregistre beaucoup sur pcb jamma avec un supergun. Je joue beaucoup sur consoles « old school », la Saturn étant celle que j’utilise le plus avec Radiant Silvergun.

Jibé : Comme tu le sais, les jeux musicaux ont explosé en europe avec l’arrivée de Guitar Hero. Ces jeux joués à très haut niveau sont souvent très impressionnant à regarder. Dam Dam ( sur Pop N Music) ou DJ Azur  ( Sur Beatmania) sont assez excellents dans l’exercice, mais te concernant, es-tu intéressé par ce type de challenge?

Ben Shinobi : Oui, ces performances sont vraiment impressionnantes, mais pour être honnête, je n’ai jamais vraiment essayé un « rythm game ». Je suis quelqu’un de très nostalgique et je préfère rester dans les jeux old school. Je dois quand même reconnaître que les jeux musicaux sont une très bonne innovation dans l’histoire des jeux vidéos.

Jibé : On ne te voit pas faire de Super Play sur des machines récentes pourquoi?

Ben Shinobi : Pour la simple et unique raison que je n’en ai pas !!! La PS2 est la console la plus récente que je possède et je l’avais achetée exclusivement pour Gradius V. Pour être honnête, ce n’est pas les consoles « NextGen » qui me pose problème mais plutôt les jeux qui sortent dessus. Toujours plus beaux, plus fins, plus colorés…mais de moins en moins fun à jouer !

Jibé : On peut cependant voir sur le site Speed Demo Archives des joueurs tenter de battre des records de vitesse sur des jeux 3D comme Resident Evil 4 en dessous de la barre des trois heures. Est-ce le même état des esprits?

Ben Shinobi : Les speedruns sont de grandes performances. Je suis totalement incapable de faire ce genre de superplays, j’ai besoin de temps pour réagir, je suis quelqu’un de très lent !!! L’état d’esprit est exactement le même pour scorer sur un shooting game. C’est juste l’objectif qui change.

J’avais fait une tentative de ce genre de performance sur Donkey Kong Country et je me suis vite rendu compte que c’était injouable.

Jibé : Finalement, les jeux dans les années 90, n’avaient-ils pas plus de saveur? Que penses tu de l’évolution ludique?

Ben Shinobi : Dans les années 80 tu veux dire !!! C’est vrai qu’il y a eu de très bon jeux jusqu’au milieu des années 90, mais l’arrivée de la 3D a tout changé. L’industrie du jeu vidéo est devenue trop commerciale à mon goût. Les éditeurs produisent de nombreux jeux magnifiques visuellement, mais trop rapide à terminer au prix d’une difficulté trop réduite. Ceux qui ont connus les premiers jeux vidéo de l’histoire se souviendront que l’intérêt ne résidait pas dans le visuel mais dans l’intelligence du gameplay. Mais de nos jours, l’œil ne voit que la surface des choses…

Jibé : On va essayer de mieux connaître Benjamin à présent sans le Shinobi.  As tu d’autres passions que les jeux vidéo? Je crois savoir que le Tennis est très important dans ta vie.

Ben Shinobi : Avant toute passion, il y a ma femme que j’aime passionnément !!!  Mais c’est vrai que que mon autre grande passion qui remonte à aussi loin que les jeux vidéos, c’est le Tennis. C’est d’ailleurs devenu mon boulot puisque j’enseigne cette activité dans les clubs.

J’ai fait beaucoup de compétitions et j’ai beaucoup appris sur moi même, la préparation mentale, la capacité à rester concentrer pendant des heures. Et puis l’enseignement m’a appris la patience. Bref que des qualités pour bien jouer aux jeux vidéo.

Jibé : Mais alors, on imagine que tu dois être un champion sur sur Final Match ou Virtua Tennis !

Ben Shinobi : Héhé et bien la dernière fois que j’ai joué à un jeu de tennis, c’était Great Court sur Atari ST. oui je sais, ça te fait rire, mais je ne suis pas fan des simulations sportives. On est vraiment très loin de la réalité et comme je joue aux jeux principalement pour fuir cette réalité bien triste…

Jibé : Merci à toi Benjamin, d’avoir consacré de ton temps à Ze Player.

Ben Shinobi : C’était un plaisir de répondre à cette interview !

Retrouvez les exploits de Ben Shinobi sur son site  ou sur la chaîne Nolife pendant l’émission Superplay 

Site officiel Superplay : http://www.super-play.co.uk/

Site de speedruns : http://speeddemosarchive.com

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