Mathieu (3) : L’honnêteté du jeu vidéo (II)

 La palinodie ne fait pas partie de mes habitudes. Il m’arrive de corriger, d’amplifier, de préciser, mais non de me rétracter : mes (anciens) amis, mes (nouvelles) amours et mes (récentes) emmerdes pourront en témoigner. Aussi, revenons un instant sur ma dernière tribune, non pour l’effacer, mais pour l’enrichir.

   Je me suis rendu compte qu’entre celle-ci et une autre dans la continuité de laquelle ce texte se place, je ne me faisais finalement que me répéter. Quelque part, c’est rassurant : cela prouve qu’à défaut d’avoir des idées vraies ou fausses, je les avais nettes comme disait Rousseau. Quelle différence, cependant, entre ces deux tribunes ? L’une est plus abstraite, l’autre davantage ad hominem. Je conçois que le procédé est bas, mais je gage qu’elle m’a permis de parler de choses plus larges, et plus vastes, par ce biais ou, du moins, de donner un exemple concret à des idées autrement trop vagues. 

 

   Et puis finalement, en lisant les nombreux commentaires, que ce soit ici, sur facebook ou après l’article de merlanfrit, je me suis rendu compte que ce genre de débat dépassait les simples personnes. Alors je m’en vais revenir à quelque chose de plus éthéré pour répondre aux remarques et critiques les plus répandues. Ces réponses, autant le dire, ne remettent pas en question la validité de ces observations – pour la plupart, du moins – puisqu’il est connu qu’un débat est toujours affaire de compromis : il s’agit moins de convaincre que d’exposer une représentation du monde, et sinon de gagner de prendre l’une des trois voies, y compris la moyenne.

 

   Malheureusement pour moi également, l’ataraxie ne fait pas, ou plus, partie de mes habitudes.

 

   Il est possible de classer les réponses faites à ma tribune ou aux diverses réactions faites après la vidéo d’Usul en deux catégories : il y a celles qui cherchent à voir « le fond des choses », acceptant la démarche mais lui donnant une toute autre portée, et celles qui font preuve d’un relativisme certain, en mettant en jeu la pertinence de certains endroits ou de certaines réflexions en pointant une erreur de méthode. Je vais revenir sur quelques uns de ces points, sans nommer explicitement les auteurs par le biais desquels je les ai lus, car nul doute qu’ils sont partagés par d’autres qui ne se seront exprimés : je m’en voudrais alors de les exclure, la « majorité silencieuse » a aussi voix au chapitre, nom d’une pipe.

 

  Commençons peut-être par les plus sincères ou les plus évidentes, les réponses qui considèrent la vidéo incriminée comme remplissant parfaitement son rôle, celle d’une mise en perspective d’un fait dérangeant, permettant ainsi à celles et ceux qui auraient échappé à toute cette malheureuse affaire du « doritogate » d’en être à présent avertis. Ces remarques tournent généralement autour de deux thèmes : le public de jeuxvideo.com d’une part, et le genre de la satire de l’autre.      

  

  L’on a ainsi mis en avant le fait que la fameuse vidéo était bienvenue pour le public de jeuxvideo.com, que l’on pense composé de joueurs jeunes et/ou occasionnels, et qui n’auraient eu vent de toute la malheureuse affaire. Il me semble que l’on peut rétorquer deux choses à cet argument : d’une part, le public du premier site de jeux vidéo français, celui-là même qui accole un nom on ne peut plus générique à un .com, doit être incroyablement diversifié. Non seulement les « petits joueurs » y viennent comme attirés par la naïveté de l’appelation qui demande bien moins de circonvolutions que gamekult, gameblog ou que sais-je encore, mais tout un chacun finit toujours par s’y retrouver. Saviez-vous qu’il m’arrive de faire mes courses à Carrefour ou à Simply malgré mon attachement pour les marchés et les petits commerçants ? Ou que je feuillette Le Monde de temps à autres et ce malgré l’amour porté à Fakir ? Je pense alors qu’une part sans doute non négligeable de joueurs avertis se retrouvent sur ces pages, et ils connaissaient déjà tout du « doritogate ».

  L’on peut alors objecter que ceux-ci ne composent pas l’essentiel du public du site. Je ne me souviens pas de statistiques concernant le lectorat de jeuxvideo.com – si quelqu’un a des chiffres, qu’il les fasse connaître, j’avoue en être curieux -, mais admettons cependant que plus de la moitié des lecteurs soit composée de « joueurs du dimanche ». Pensons-nous sincèrement qu’ils soient concernés par ces problèmes d’indépendance de la presse ? Ou bien ne sont-ils pas plutôt du côté des lecteurs de Julien C. tels que rappelés encore dans la chronique d’Usul, ne voulant que savoir quand sortira le prochain Battlefield ou le prochain Fifa, quelle arme ou quel grand nom l’on pourra incarner, quels grands projets il nous faudra attendre, la bave aux lèvres ? 

   Face aux images en cascade de GTA V, quel pourrait donc être le poids de la déontologie ?

 

   La presse de jeu vidéo, et cela conditionne directement son « honnêteté », n’est pas une presse d’investigation. Du moins, elle ne l’est pas encore. C’est une presse de « publi-rédactionnel », et lorsque mon adblock dissimule la sixième vignette de la page d’accueil de jeuxvideo.com, je ne peux manquer de me dire que, décidément, cette application fait fort mal son travail, car ce sont en réalité toutes les vignettes qu’il lui faudrait cacher.
   Si le « grand public » consulte la presse vidéoludique, il n’a strictement rien à faire de ce que dit cette presse sur elle-même : on n’attend pas de Jean-Marc Morandini, ou de Cauet, ou d’Arthur, qu’ils remettent leur travail en cause. Si jamais l’on écarte alors l’hypothèse selon laquelle, je me cite, « (on ne peut) détruire un système en étant intégré dans ledit système », il n’en resterait alors qu’une seconde, bien plus piteuse en réalité et que j’ai également évoquée, selon laquelle ces tentatives ponctuelles de « moralisation de la presse vidéoludique », pour reprendre un élément de langage à la mode, ne sont que des miroirs aux alouettes, un sketch destiné à faire sourire les sots, un clin d’œil à l’initié ou la vaseline avant la sodomie, et non une invitation au romantisme.
   Christiane Taubira a déclaré deux vélos d’occasion. N’aurait-elle pas oublié sa pirogue en chemin ?

 

   Il me paraît de là, alors, naturel de penser que la forme de la satire, aussi maîtrisée puisse-t-elle l’être, ne fait jamais qu’enfoncer des portes ouvertes. En choisissant des cibles évidentes, sur lesquelles tout le monde a roulé par ailleurs (y compris ici même, nous ne sommes nullement au-dessus de la mêlée), fait-on réellement de la satire ou bien ne récitons-nous finalement que mollement une litanie du même niveau qu’une blague sur les blondes, les roms ou François Hollande ?

 

   Je suis sans doute aveuglé par mon côté partisan. Je dois être, comme dans la chanson « un peu chiant(e) et un peu triste ».

 

  Mais je serai au moins chiant jusqu’au bout : poursuivons encore un peu.

 

  Anecdote personnelle en guise de transition. Il y a de cela quelques semaines, j’avais passé la soirée en compagnie de quelques amis et de connaissances de beuverie. L’un d’entre eux nous fit alors partager une vidéo sur Youtube d’un « comique » dont j’ai depuis oublié le nom. La façon qu’il avait de parler, son style, sa gouaille, m’a fait penser au Jamel Comedy Club ou encore à On ne demande qu’à en rire, vous savez, ces bastions d’irrévérence qui renverraient le mort du bal de Colombey, Tous Coupables et CRS=SS à leur cabinet. Bref, cet humoriste nous faisait tout un sketch sur les roms, et le public de rire aux larmes, complice.

   C’était là sans doute un morceau de son futur ou présent spectacle, s’intercalant comme de juste entre une imitation de Claude Guéant et une de la Marine. Pour tout dire, j’attends la version cinéma scénarisée par Kev Adams, ou la BD dessinée par piratesourcil, celui-là même qui est parvenu à remettre au goût du jour les blagues pédérastes de Guy Montagné et à les faire passer pour des monceaux de bravoure. Où veux-je cependant en venir avec tout cela ?

   Je ne suis pas sociologue, tout au plus me piqué-je de sociologie. Mais il me semble que de la même façon que la représentation des sexes dans le jeu vidéo nous en apprend beaucoup sur le sexisme et le féminisme dans ce même domaine et dans les autres (et ce n’est par Mar_Lard qui me contredira), la façon dont on évoque un sujet, n’importe quel sujet à dire vrai, nous en apprend toujours bien plus que l’on ne pourrait croire. Contrairement à l’adage populaire, on ne parle pas « pour ne rien dire ». Pour peu que l’on connaisse Bakhtine, l’on sait bien que le dialogisme est une force irrépressible et que tout ce que nous disons n’est que trace d’un discours pré-existant.
   En elle-même, cette vidéo semble bien n’être, on l’a dit et je l’accepte, qu’une « tempête dans une verre d’eau ». Tout comme ce sketch sur les roms dont je parlais plus haut. Mais ce n’est pas encore ça que je fustige : je ne tape pas sur le messager, mais bien sur le message. Sans aucun doute que l’on ne pensait pas à mal, même que l’on était sincère, que l’on ne voulait « que faire rire » (encore que, vu comme certains mènent leur barque, j’ai des doutes… mais là, ça deviendrait de l’acharnement). Mais rien n’est innocent. Oui, ce n’est « que du jeu vidéo ».

 

  Quand Gamekult fait une série d’articles sur les métiers du jeu vidéo, leur fiche de paie, les heures supplémentaires – et par l’intermédiaire d’un excellent ami, je puis dire que ce panorama restitue assez bien les réalités individuelles du média -, le résultat ferait crier plus d’un prud’homme et plus d’un syndicaliste. Mais ce n’est que du jeu vidéo, et les travailleurs devraient être reconnaissants d’être considérés comme des mineurs chiliens pour avoir la chance de bosser pour leur passion.

   Quand les salons de jeu vidéo, les E3, les TGS ou je ne sais quoi encore, dévaluent l’image de la femme avec de nombreuses babes comme au temps gracieux du Collaricocoshow, ce n’est que du jeu vidéo, et ces vagins sur pattes devraient être fières de nous inviter à danser sur un volcan.

 

   Quand on ne fait que souligner la dépendance du jeu vidéo avec les éditeurs et l’industrie du loisir en général, sans la problématiser et en prenant comme référence l’un des grands « cocus de l’histoire », ce n’est que du jeu vidéo. Alors oublions tout cela, et soyons heureux que jeuxvideo(2000).com nous permette d’assister à la « coupe de France de Battlefield 3 en direct ». C’est de bonne guerre, puisque Gamekult a récupéré Pomf & Thud (achetez Asus et Rift au passage), et que DiabloX9, alias « je n’ai pas acheté de jeux depuis 2011 et j’ai les couilles au cul, même si ce ne sont pas toujours les miennes » a échoué sur Gameblog (ou ailleurs, j’avoue que je ne suis pas avec assiduité la presse people de ce petit monde).

 

  Je ne vais pas faire un plaidoyer contre la société de consommation : mon mur de salon est une ode à cette société, et il paraît difficile de faire autrement aujourd’hui même si, au fur et à mesure, des modèles alternatifs pourront surgir. Et aussi fort puis-je me concentrer pour légitimer le jeu vidéo dans tout ce que je peux accomplir, c’est là une donnée que je ne saurai oublier. S’il existe un cinéma commercial, ou hollywoodien, il existe un cinéma « artistique » ou « indépendant » qui ne se résume pas à des discussions dans des cuisines parisiennes. S’il existe une littérature commerciale, de Marc Lévy et de Guillaume Musso, il en existe une autre que l’on ne trouve pas dans les rayons des Fnac ou sur Amazon et qui recèle de merveilles qui n’ont rien à envier au Contr’un.
   Hélas, la chose est plus complexe qu’il n’y semble pour le jeu vidéo ou, du moins, il est difficile pour lui de dépasser son statut de loisir – le doit-il d’ailleurs ? Mais ce n’est pas pour cela qu’il nous faut mélanger les genres, et atteindre une forme de « je-m’en-foutisme » béat et absurde. Si nous voulons trouver de quoi réfléchir, ce n’est sûrement pas du côté de l’Usul qu’on nous présente sur jeuxvideo.com qu’il nous faut aller : et le fait qu’on lui ait tapé sur les doigts, qu’il ait modifié son encart final nous le rappelle encore.

   Il est toujours bon de rappeler que « le roi est nu ».

   Il est toujours bon de rappeler que le roi peut rire de sa nudité.

   Il faudrait alors rappeler que s’il le fait, il n’est pas entièrement nu : il lui reste encore le sens de l’humour.

   Qu’on le déshabille alors totalement. Qu’on l’encule. 

   Et s’il en est, dont Pierre Séverin lui-même – non Usul -, qui désirent exploiter leur talent pour le faire, qu’ils le fassent : qu’ils ne soient plus les esclaves qui plient sous le fouet de leurs maîtres, ces bouffons qui font des claquettes et produisent de la satire ou de l’irrévérence sur mesure.

 

   « Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prière sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.
   Il était COMIQUE ET LAID,
   COMIQUE ET LAID pour sûr.
   J’arborai un grand sourire complice…
   Ma lâcheté retrouvée !
   Je salue les trois siècles qui soutiennent mes droits civiques et mon sang minimisé.
   Mon héroïsme, quelle farce !
   Cette ville est à ma taille. » (Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal)

 

   

    Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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