Dark Moon ou Luigi’s Mansion 2 ?

   Quelques semaines après sa sortie triomphante, l’heure est venue pour moi de vous parler de Luigi’s Mansion: Dark Moon. Non, je n’utiliserai pas le titre japonais ou européen de Luigi’s Mansion 2 tant le jeu est différent en esprit du premier. Et cela ne le rend que plus délicieux.

   Si vous faites partie des joueurs ayant acquis Luigi’s Mansion: Dark Moon ou si vous avez pu lire les nombreux tests qui ont émaillé la toile lors de sa sortie, je pense que vous connaissez le consensus : le jeu est excellent. Et, une fois n’est pas coutume, je ne vais pas aller à l’encontre de la critique, fût-elle professionnelle ou populaire : je trouve le jeu bon, très bon voire excellent sans aucun doute.

   Mais au-delà des nombreuses qualités du titre, il m’a avant tout rassuré sur quelque chose : Nintendo n’a décidément pas perdu de sa superbe et nous rappelle à tous que ce n’est pas parce qu’on fait une suite… qu’il faut faire la même chose.

   Hello ?

   Luigi’s Mansion, premier du nom, est un de ces jeux qui a su conquérir au fur et à mesure du temps un statut de jeu « culte » alors qu’il était, lors de sa sortie en 2001, le « vilain petit canard » dont on n’osait parler. Il faut dire qu’il cumulait alors les tares : il était l’un des premiers jeux d’une nouvelle console de Nintendo à ne pas mettre en avant le plombier rouge, il exhibait clairement non seulement son statut de « démo technique » mais, également, de « démo de jouabilité » en justifiant les deux sticks analogiques de la nouvelle manette de la Game Cube, il n’était pas un jeu de plates-formes mais un jeu d’action/exploration. Sans aucun doute faisait-il figure d’hapax dans la carrière de Big N.

   Et de souvenir, lors de sa sortie, peu de gens savaient comment se positionner face à lui : ce qui revenait régulièrement, c’était sa durée de vie, on ne peut plus courte il est vrai ; mais l’on mettait volontiers de côté tous ses atouts, sa beauté certaine, son rythme sans temps mort, son ingéniosité et son humour grandissant. Surtout, il développait tout un univers qui faisait de lui, à tous les niveaux « l’anti-Mario » et non pas pour la seule idée que l’on contrôlait, pour l’une des rares premières fois, son frangin. Il faut se ressouvenir qu’ici, le plombier ne sautera jamais, que le gros bouton vert de la manette, celui-là qui semblait nous appeler ne provoque en jeu qu’un appel languissant en direction du héros que l’on connaît bien, que l’on récoltera davantage des billets de banque ou des pierres précieuses que des pièces d’or, etc.

   Au fur et à mesure du temps cependant, peut-être comme pour se consoler d’un Super Mario Sunshine qui n’avait pas su conquérir les fans de la première heure, les joueurs sont revenus vers Luigi’s Mansion et ont su, cette fois-ci, le sortir de son carcan de « jeu de lancement » pour l’ériger en tant que titre à part entière, et cela était bon ; à tel point que lorsque sa suite fut annoncée, on ne se dit pas, comme on le fait parfois, « tiens, ils ressuscitent de vieilles gloires » mais bien « enfin, il était temps ! ». 

   J’avoue que, de prime abord, j’étais on ne peut plus sceptique. La contrainte de la console portable, le design des fantômes, le fait que l’aventure soit segmentée en plusieurs manoirs alors que le premier tirait notamment sa force de son unité environnementale – bien qu’il fût chapitré, comme il se doit -, j’avoue ne pas avoir été des plus emballés. Ce n’est qu’en jouant que je m’apercus que la « machine à suite » que l’on appelle parfois Nintendo m’a joué un sacré tour, et m’a fait me ressouvenir de quelque chose que je savais pourtant du fond des os, que leur univers sucré n’est jamais qu’un prétexte, et non l’essentiel de leurs projets.

   « Boo »leversements

   Il faudrait un jour faire l’expérience. Il nous faudrait prendre certains jeux de Nintendo mettant en scène qui Mario, qui Samus, qui Link, les transposer dans un tout autre univers avec de nouveaux personnages et, sous cette forme nouvelle, les envoyer à tester aux critiques ou aux joueurs. J’aime à parier que pour certains d’entre eux, on crierait au génie et à l’innovation ; car il est vrai que les habitudes ont la vie, et la coercition que peuvent représenter le royaume champignon, les metroids ou Hyrule peut parfois nous empêcher de voir le gameplay qui se terre sous ces atours. Et sous le nom de Luigi’s Mansion se cache pour moi un jeu entièrement différent tant en principe qu’en jouabilité.

   En effet, les différences que l’on peut mettre en avant entre les deux épisodes ne sont pas seulement de l’ordre du vernis graphique ou du compromis en faveur du changement de support : mais elles me semblent justifier au plus haut point le nouveau regard que l’on peut porter sur le jeu.

   Commençons par ce qui pourrait être le plus évident : la segmentation du jeu en plusieurs « manoirs » et en plusieurs « missions ». Il paraît clair qu’ici le choix de cette structure s’est imposée pour mieux épouser le format de la console portable et faire en sorte que le joueur puisse accomoder ses parties avec des trajets plus ou moins courts, par exemple en train ou en transport en commun, arriver à un « point d’étape » et reprendre ultérieurement. Mais ce que j’aimerai ici mettre en avant, c’est la façon dont cette décision « pratique » a eu des conséquences de level-design importantes.

   Le premier Luigi’s Mansion, cela avait surpris également les joueurs, avait un côté « arcade » voire beat’em all en esprit assez prononcé, dans la mesure où pour poursuivre l’aventure il fallait absolument s’affranchir des fantômes présents dans une salle en particulier. Si l’on retrouve alors ici ce principe fondateur, l’on remarquera que bien souvent, le joueur peut traverser une salle sans difficulté aucune à condition qu’il ne « déclenche » pas une rencontre avec un fantôme : c’est donc sa curiosité qui conditionne directement l’apparition des combats et non pas la progression linéaire et « prévue » par le jeu. Cela donne alors une avancée à « deux vitesses », et l’on retrouve le gameplay mille-feuilles cher à la compagnie.

   Il ressort alors globalement que l’on passe davantage de temps à se focaliser sur les énigmes, qui peuvent prendre la forme d’un labyrinthe (comment atteindre une salle en particulier alors que le chemin « évident » est inaccessible) ou demander de faire preuve d’observation (trouver une combinaison ou une « clé » ouvrant une porte). D’un jeu d’action, l’on passerait subrepticement à un jeu de réflexion et régulièrement, l’on erre dans les manoirs sans savoir précisément que faire ou aller, espérant déclencher l’événement qui nous permettra de poursuivre l’aventure, tel un point’n click de la belle époque.

   Press « R » to suck

   L’autre modification qui me semble d’importance concernerait davantage ici la jouabilité. Comme je le rappelais en introduction, Luigi’s Mansion était pour Nintendo l’occasion d’expliquer aux joueurs l’intérêt des deux sticks analogiques, le gris contrôlant les déplacements du plombier, le jaune l’orientation de la buse de l’aspirateur. C’est là quelque chose que Nintendo aime bien faire : F-Zero nous introduisait à la pertinence des boutons-flippers, Super Mario 64 rendait évident le stick analogique, Wario Ware: Touched! nous présentait toutes les possibilités de l’écran tactile de la Nintendo DS. En un mot, Nintendo ne fait pas des manettes pour ses jeux, mais des jeux pour ses manettes, comme pour jamais se départir de son métier premier de créateur de jouets.

   L’absence d’un deuxième stick, tant décrié lors de la sortie de la 3DS qu’elle a provoquée la création du « Circle Pad Pro », a alors demandé de repenser la jouabilité de Dark Moon. Si les flippers permettent d’enclencher l’aspirateur, il a fallu exploiter les boutons « classiques » pour l’orienter en haut et en bas alors que Luigi est bloqué, « straffant » plus qu’évoluant dans l’aire de jeu. Et de là, lors des combats à proprement parler, Luigi possède la capacité de « bondir » plus que de sauter pour esquiver les coups et projectiles de ses assaillants.

   Ces deux caractéristiques rendent étrangement, et à mon sens, les combats contre les fantômes bien plus physique qu’auparavant et notamment contre les « boss » des manoirs. Quand j’y repense, les patrons de la version Game Cube demandait davantage à trouver un point faible, voire une astuce pour s’en débarasser : la phase d’aspiration, généralement, était plus ou moins scriptée ou, du moins, laissait moins de place à l’imagination.

   Plus j’y pense, et plus il me semble que ce « Luigi’s Mansion 2 » inverse parfaitement les données de son prédécesseur : la phase « action » de l’exploration du manoir a laissé sa place à des phases d’énigmes, la phase « énigme » des patrons a laissé sa place à des phases de combat plus « pures ». C’est encore pour cela que j’aime davantage ce titre de Dark Moon comme si, l’espace d’un instant, nous étions passé du côté de la « face cachée de la lune », ce que le premier jeu aurait pu être si jamais d’autres choix de design avait été pris auparavant.

   Il y a quelque chose, ici, d’assez ironique, je crois. Alors qu’à chaque annonce d’un Mario, d’un Zelda ou d’une autre licence les gorges chaudes s’élèvent pour dénoncer une suite et non pas l’apparition d’un jeu nouveau, Nintendo, subrepticement, me semble insuffler une grande réflexion sur sa planche à dessins. De l’autre côté, les Uncharted, les Dead Space, les que-sais-je-encore peuvent, par endroits – non dans leur totalité, il faut être honnête – sembler des copies carbones plus conformes à leur glorieux modèle.

   Bah ! Je ne suis sans doute qu’un fanboy aveugle.

    Mathieu   

 

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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