The Walking Dead saison 2 : Still. Not. Bitten.

Je l’attendais depuis des mois. J’en attendais beaucoup. La première saison de The Walking Dead m’avait laissé, comme je l’avais dit, une très grande impression : ses qualités d’écriture, l’émotion forte qu’il suscitait (du moins, lors de sa découverte), effaçaient largement les imprécisions de son gameplay et faisaient oublier les illusions de choix que les auteurs créaient.

La deuxième saison terminée, je m’engloutis alors, après avoir refait un run de la première et de l’épisode bonus 400 days, dans ses cinq épisodes consécutivement. Je savais que ce n’était qu’ainsi que les lignes de force apparaîtraient, que les personnages se dessineraient, que les décisions porteraient le mieux. Une fois l’ensemble achevé, je peine à me dire entièrement convaincu. Tout, sur le papier, faisait sens et tout, sur le papier, était de bonnes idées : mais la conduite n’est pas, hélas, à la hauteur des espérances. Cela fait alors de The Walking Dead: Season 2 est un jeu finalement « moyen » et ce sans que l’on ne puisse, réellement, mettre cela sur le compte d’un effet de surprise passé.

/!\ ATTENTION : CET ARTICLE CONTIENT PLUSIEURS SPOILERS SUR L’HISTOIRE DU JEU /!\

 

 

I miss Lee…

La première saison, rappelons-nous, s’achevait sur un topos fort répandu dans la Littérature de genre : la mort du personnage principal, des mains mêmes (du moins, c’était l’une des options possibles) de Clémentine, la fillette que nous nous sommes évertués à préserver de tout. Nous la retrouvons alors, près de deux années plus tard, en compagnie de Christa et de Omid, derniers survivants du groupe qui nous accompagna alors jusqu’à la ville portuaire de Savannah. C’est donc en toute connaissance de cause que nous sommes à présent amenés à diriger la fillette qui, bien que portant toujours sa fameuse casquette, a vu ses traits se durcir et son regard se déterminer.

Effectivement, nous ne pouvons ici jeter la pierre : il était pour le moins dangereux, impossible même, de reproduire les astuces de la première saison et de diriger un adulte prenant soin de la fille. Toutes les situations ont été abordées : la confession, le sauvetage, l’enlèvement, la protection… Il était inconcevable, dès lors, de « remettre le couvert » et de créer de la différence. Mais ce faisant, les auteurs sont tombés, hélas, dans un piège grossier : celui de faire un jeu vidéo.

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Comme je l’expliquais dans ma précédente chroniqueThe Walking Dead n’était pas réellement un jeu vidéo dans la mesure où son intérêt tombait à la marge du média : interactivité minimale, histoire guidée de bout en bout, il ne fonctionnait que parce qu’il nous proposait non de suivre une histoire en jouant, mais bien de jouer en suivant une histoire. Et si les choix que l’on nous demandait de faire étaient aussi déchirants, c’est que l’on savait bien, au fond de nous, que nous ne faisions que retarder une issue inévitable. Aussi étions-nous aux commandes, ici, d’un personnage au champ d’action limité voire inexistant, ce qui détonait fortement : alors que le jeu vidéo semble être tout construit sur l’idée de l’augmentation de la puissance, l’obtention de nouveaux objets, The Walking Dead prend le chemin inverse et détruit méticuleusement tout ce que nous cherchons à construire, chaque chapitre nous affaiblissant davantage encore jusqu’au point de rupture.

La saison 2, quant à elle, jette cette idée aux orties : et si les catastrophes succèdent aux catastrophes, Clémentine non seulement s’en sortira, mais s’en sortira la tête haute. Même si l’on se doute bien, en lançant la partie, que jamais les développeurs ne la tueront, on est surpris de la voir prendre moult initiatives, influencer par ses paroles le plan d’action de tout un groupe d’adultes, de multiplier les coups d’éclat avec une impunité que rien n’explique, si ce n’est le bon vouloir des scénaristes.

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Autrement dit, alors que Clémentine était un personnage clé de la première saison, et que l’existence de Lee dépendait surtout d’elle, elle devient presque un poids dans la deuxième : et plutôt que de vouloir en faire un « Lee » en culottes courtes, volontaire et protectrice, il aurait été bien plus sage de la laisser dans son rôle de gamine certes courageuse, mais dont le parcours intellectuel et moral aurait dû davantage être confronté aux choix des autres protagonistes, à l’instar du personnage de Becca dans le DLC 400 Days qui fait de plus en plus penser à un acte manqué pour les développeurs.

Oh my god, they killed…

Tout n’est pourtant pas à jeter concernant l’écriture, et je suis plus clément avec le deuxième choix majeur des auteurs : briser les unités de lieu et, concomitamment, proposer une distribution de personnages plus vaste. La chose, au commencement, déstabilise beaucoup : nous nous étions habitués, auparavant, à suivre un groupe de survivants qui, certes, évoluait avec le temps mais qui possédait une certaine constance, notamment par l’intermédiaire du personnage de Kenny, qui sera quasiment toujours avec nous du début à la fin. Ici, chaque chapitre, ou presque, est l’occasion d’une remise en question profonde de cette stabilité et les personnages vont et viennent, même si certains seront vus du début à la fin. Mais leur absence régulière crée un contre-balancement bienvenu : et si l’empathie était le sentiment dominant de la première saison, la solitude serait celui de la seconde.

Cela, alors, rend cette décision de faire de Clémentine, comme je le disais à l’instant, une « héroïne » au sens fort du terme, incompréhensible : elle aurait été bien mieux en « protagoniste » et il aurait été bon, son adolescence aidant, d’avoir davantage d’instants de solitude, de peur, de fuite. Le premier épisode, en cela, semble partir sur d’excellents rails, et la disparition, très rapidement, d’Omid et de Christa, nonobstant la facilité d’écriture qu’elle représente (l’on ne connaît que trop, dans les suites, l’astuce de la tabula rasa), de faire croire que c’est vers là que l’on s’achemine, tout comme la rencontre de Lee et de Clémentine était comme programmatique dans la première saison.

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Malheureusement, dès le deuxième épisode et ce jusqu’à la toute fin où, enfin, les auteurs corrigeront, un peu tard hélas, ce que je pense être leurs erreurs, l’inclusion de Clémentine comme chef de son groupe a un effet désastreux et ne peut que mettre en avant le factice des situations : le choix n’est plus illusoire, il est faux. À chaque instant, l’on nous rappelle que nous jouons à un jeu vidéo, et il faut bien de la bonne volonté pour suspendre son incrédulité pour reprendre un terme consacré. Cela est loin d’être facile tant les auteurs s’amusent à multiplier les ficelles narratives, les coups de théâtre voire à réintroduire d’anciens personnages que l’on pensait morts depuis longtemps, peut-être pour plaire aux joueurs, peut-être car ils ne savaient plus comment avancer dans l’impasse qu’ils avaient eux-mêmes créée.

Aussi, si les personnages secondaires sont souvent intéressants, et ce même si l’on regrettera des doublons malheureux (telle Jane qui ne peut que faire penser à Molly tant leurs caractères, leurs histoires et même leurs physiques sont identiques), ce seront eux qui sauveront finalement la sauce. La nécessité de devoir toujours, cependant, les percuter par l’intermédiaire de Clémentine, qui était bien mieux dépeinte en petite fille qu’en adolescente, obscurcit souvent le tableau et l’on se surprend, du moins je me suis surpris, à être bien moins touché qu’auparavant par tous ces destins individuels et ce malgré la bienveillance dont j’ai pu faire preuve.

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Un autre Heavy Rain ?

Je voyais The Walking Dead: Season 1 comme étant le « Heavy Rain » promis, assumant jusqu’au bout des ongles son statut unique dans le média et allant jusqu’au bout de ses principes. La saison 2, et c’est malheureux selon moi, se rapproche de ce modèle. Il se perd dans des schémas bien trop délimités, en « décision-discussion-conséquences », reproduit des ficelles trop grosses comme « l’auto-mutilation interactive » qui semble être à présent une norme pour ce genre d’histoires, gère très maladroitement son rythme, entre repos de circonstance et actions multipliées. Et ce n’est pas ce que j’appelais jadis de mes vœux, c’est-à-dire la présence de fins multiples à son issue, qui pourra rendre l’ensemble plus digeste : tout au plus sera-t-on curieux de savoir dans quelle direction la troisième saison, déjà annoncée, ira.

Tout cela donne une impression étrange de saison de transition, à l’image de ce qu’a pu être, d’ailleurs, la deuxième saison de la série télévisée qui me fit lâcher prise après, pourtant, une introduction magistrale l’année d’avant. Nous étions en droit, nous attendions tout du moins bien mieux et il s’en faut à chaque fois de peu pour être convaincu.

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Mais à chaque fois que quelqu’un prend Clémentine au sérieux plutôt que de la remettre en sa condition d’enfant à protéger ; chaque fois qu’elle agit et s’en sort miraculeusement sans une égratignure ; chaque fois qu’elle tient des propos qui ne peuvent prendre place dans la bouche d’une fille de onze ans, la magie se brise, et tout est à refaire. Un personnage plus vieux aurait, sans doute, permis à tout cela de faire sens : mais c’était risquer une ellipse bien trop longue pour être crédible.

The Walking Dead: Saison 2 nous rappelle, me rappelle cependant, une vérité que l’on avait perdue de vue : ce n’est pas, et la comparaison avec Heavy Rain est parlante encore, la mise en danger d’un enfant qui nous fait vibrer. C’est la force émotionnelle que nous sommes prêts à investir, la connexion que l’on accepte de créer. La première saison faisait cela en effaçant de l’équation « jeu vidéo » son interactivité : la seconde échoue en réintégrant une toute-puissance qui paraît presque vulgaire dans cet univers tant, comme le disait Robert Burns, « les plans les mieux conçus des souris et des Hommes souvent ne se réalisent pas ». Et plus les figurants meurent autour de Clémentine, plus son statut d’exception sourd, douloureusement.

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Clémentine est une figure d’espérance dans un monde désespéré : et nous ne jouons pas à The Walking Dead pour voir une fin « heureuse », mais bien, comme dans toute tragédie, pour se faire du mal.

Et une fois le jeu terminé, j’ai eu, hélas, mal de ne pas avoir mal.

Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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