J’aime les jeux étranges. J’aime ceux qui sortent des sentiers battus. La posture même du rebelle qui crache au visage du CRS ou, mieux, lui fait un grand sourire. L’anarchiste que j’étais lors de mes années lycée ne m’a, décidément, jamais quitté.
Mais autant j’aime l’attitude, autant je préfère lorsqu’elle est suivie d’une certaine intégrité et que l’on va jusqu’au bout de ses idées. Aussi, des jeux qui prétendent « tout révolutionner » mais qui ne sont, jamais, que des doigts d’honneur vite rangés sous la cape du conformisme, sont légions ; on les reconnaît, généralement, au grand bruit que font leurs créateurs.
Ceux qui, en revanche, changent réellement les choses, sont d’un moindre nombre ; et généralement, ce sont les joueurs qui les plébiscitent. Je ne voudrais pourtant pas tracer là une frontière qui aurait tout de la généralité tant les choses sont plus grises qu’elles n’y paraissent, mais c’est, dans mon prime état naïf, la façon dont je souhaite voir les choses.
La thématique du choix, dans le jeu vidéo, semble être la marotte des développeurs depuis quelques années. Des RPG aux cheminements multiples en allant jusqu’aux décisions influençant directement notre expérience, le jeu vidéo a souvent voulu sortir du schéma « action-récompense » qui est le sien depuis les commencements. Mais, en réalité, les choses ne sont pas aussi simples.
Lorsque j’avais parlé ici de The Walking Dead, j’avais pointé du doigt l’idée que ce jeu ne nous présentait pas un choix, mais l’illusion du choix, dans la mesure où nos décisions n’influenceront pour ainsi dire nullement la finalité de l’aventure. Nous ne sommes pas loin, en esprit, de la controverse ayant accompagné la fin de Mass Effect 3 qui ne faisait jamais que la même chose. L’on peut alors se demander pourquoi le premier fut acclamé, alors que le second fut vilipendé. Sans faire ici d’analyses sociologiques que je suis, du reste, incapable de mener, je gage cependant que cela a parti lié avec les ambitions respectives des développements, « jeu semi-indépendant » d’un côté et « grosse production » de l’autre : l’on attend plus de BioWare que de TellTale, et ce qui apparaît comme une déception d’un côté devient une belle et grande surprise de l’autre.
The Stanley Parable, du studio Galactic Cafe, ne partait qu’avec une solide réputation : on disait du mod d’Half-Life² du même nom qu’il était une expérience intéressante ; et la version « greenlightée » sur Steam ne propose jamais que la même chose. Aussi, ceux qui connaissaient déjà le mod passeront volontiers leur chemin, tout y est déjà. Quant aux autres…
Lorsque Jibé m’avait demandé, il y a de cela quelques semaines et après que j’eus acheté le titre, s’il valait le coup, j’ai eu du mal à lui répondre. Je n’avais pas hésité à lui conseiller 999 sur DS ; The Path, pour moi, est une grande expérience de jeu ; mais j’ai hésité en évoquant The Stanley Parable.
J’ai pourtant grandement apprécié y jouer et j’y reviens encore très régulièrement, dix, vingt, trente minutes peut-être à chaque fois. Non : si j’ai hésité, c’est que The Stanley Parable, paradoxalement, n’est pas un jeu.
Je n’emploie pas cette expression comme d’autres le font pour Night Trap, Time Gal, Heavy Rain ou même Phoenix Wright, c’est-à-dire pour renvoyer à ces jeux qui s’apparentent à des « romans interactifs » où l’on demande seulement au joueur d’appuyer sur un bouton au bon moment, en faisant fi des étapes de planification, de stratégie ou de réflexe inhérentes au média depuis toujours ; non, pour moi, The Stanley Parable n’est pas un jeu dans la mesure où son contenu n’est pas même ludique et qu’il est tout orienté vers la réflexion et, même, « l’efficacité ». L’on ne joue pas à The Stanley Parable : on travaille et on s’instruit, comme devant un bon livre de philosophie.
Beaucoup ont en effet réduit la réflexion du titre au seul domaine vidéoludique, de la même façon que le faisait The Path par ailleurs, et Braid dans une moindre mesure. Si cette lecture est parfaitement juste, elle me semble pourtant profondément réductrice. Si The Stanley Parable est une réflexion sur la notion de « choix », elle l’est sur le concept en général, et non en particulier.
Stendhal, dans un mot fameux de ses journaux, écrivait : « Choisir, donc exclure ». Toute la portée du titre est là, ce me semble : chacun des choix effectués par l’acteur – je me refuse à écrire « le joueur » pour les raisons que je viens de donner – ne met jamais en lumière que les décisions qu’il a sciemment laissées de côté. Sortir du bureau initial, c’est ne pas fermer la porte ; traverser les bureaux, c’est ne pas sauter par la fenêtre ; prendre la porte de gauche, c’est ne pas prendre la porte de droite et ainsi de suite. Et si le titre est une expérience enrichissante, c’est, à mon sens, grâce à trois éléments d’égale importance qui fonctionnent de concert.
Tout d’abord, il y a bien plus de choix à faire que ceux que nous montrent les développeurs. Tout un chacun pense que tout commence aux deux portes ; mais, en réalité, il y a bien plus à expérimenter auparavant comme je le soulignais à l’instant. L’acteur devient maniaque et cherche les réactions : celles-ci, au lieu de s’imposer lors de la partie comme dans Super Mario Bros. (j’appuie sur le bouton de saut, le héros saute, etc.), se terrent et il faut les découvrir.
Ensuite, tous les choix mènent à d’autres choix encore, y compris lorsque ce dernier ne consiste qu’à continuer, ou à arrêter l’aventure. J’ai souvent eu cette sensation étrange, après avoir fermé la fenêtre de The Stanley Parable, d’entendre encore la voix du narrateur. Soudainement, tout ce que je faisais normalement – écrire, travailler, prendre une tasse de café… – m’éclairait sur les conséquences futures et les choix que je devrais faire et je voyais alors, comme si j’étais sur un promontoire dominant un fleuve se divisant en une infinité de bras, toute l’étendue de mon pouvoir.
Enfin, le fait de ne pas choisir est un choix en lui-même. L’inaction est une action et, même souvent ici, une action militante. The Walking Dead proposait déjà au joueur de rester mutique, mais l’aventure continuait alors comme si de rien n’était ; l’absence de choix n’était alors en réalité qu’une troisième voie en sus des deux autres réponses possibles, c’est ce que j’appelais plus haut « l’illusion du choix ». Dans The Stanley Parable, rester stoïque, même sans réaction aucune de la part du narrateur – ou même avec les réactions, comme dans le fameux placard à balais – est un véritable choix : l’immobilité produit du mouvement, même si celui-ci ne s’affiche pas sur l’écran.
Je suis loin de tout connaître ; mais mieux, je pense, que Bientôt l’été, The Stanley Parable est à ma connaissance la toute première œuvre philosophique à se servir du média « jeu vidéo » pour exister, de la même façon que Zadig utilisait une forme romancée pour promouvoir ses idées. Si le jeu vidéo suit l’évolution que je lui souhaite, peut-être regardera-t-on alors ce titre comme un glorieux précurseur. Les développeurs ont su utiliser la spécificité même du média, son interaction, pour produire un message signifiant qui n’aurait su exister d’une autre façon.
Nous approchons là, nous touchons du doigt, la dimension artistique du jeu vidéo – sans pour autant l’atteindre, je ne serai pas idéaliste – dans la mesure où son langage propre est exploitée ; l’on ne fait pas que reprendre des codes extérieurs comme nombre le font pour les cinématiques ou le texte, faisant se demander au joueur s’il n’aurait pas dû lire un bon bouquin, ou regarder un film bien plus intéressant.
Alors, je répondrai ici à Jibé : oui, il faut acheter The Stanley Parable. Mais n’oublie pas d’acheter un jeu vidéo à côté, ça te détendra.
Mathieu
About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.
Twitter •