Diablo III : Blizzard et ses démons

Aujourd’hui, je vais vous parler de Diablo 3. Mais attention, je ne vais parler ni de la connexion internet permanente qu’il exige, ni de la désormais célèbre « Erreur 37 » qui vous empêche d’y jouer, ni des chances de survie du Barbare ou du Moine en mode « Armageddon ».

« Ben, me direz-vous, de quoi vas-tu parler, alors ? »

De l’essentiel et de ce que l’on a perdu de vue en cours de route : du jeu en lui-même.

Diablo 2 et Diablo 3 sont dans un bateau…

Oui, je n’avais pas envie de revenir sur les « polémiques » qui ont entouré la sortie du jeu, et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, près de douze années – peu ou prou – séparent ces deux épisodes ; et même si son développement a été bien moins chaotique que celui d’un Duke Nukem Forever, pour ne reprendre que ce fameux exemple, il était attendu qu’il se fasse houspiller par les joueurs. Il suffit aussi d’aller sur Metacritic pour voir trôner un magnifique 4/10 en note utilisateurs (contre 90/100 en note presse, un peu plus élevé que Diablo 2).

Cela était attendu : à force de dire « vous allez voir ce que vous allez voir », les joueurs ont vu ce qu’ils ont vu et ont fait part de leur colère, et ce alors que depuis plus d’un an l’on a des images, des sons, des informations diverses sur le jeu ; que la bêta, présentant un jeu quasiment fini, a été largement commentée ; bref, que les joueurs savaient à quoi s’attendre. Les « chouineurs » ont réussi leur coup, ils devraient se calmer dans les jours qui viennent.

D’autre part, il était attendu que le jeu subisse des critiques. C’est même la base du « business model » de Blizzard, puisqu’ils sont attentifs aux remarques, observations, retours des joueurs pour effectuer leurs mises à jour, mettre en ligne leurs patchs correctifs bref, rééquilibrer le jeu. Et même si les développeurs se sont appliqués, il reste toujours des petites choses à modifier, et Blizzard de changer la donne au bon moment.

Après avoir visité les forums officiels et autres, je m’en rends compte : les joueurs sont souvent des gamins pourris-gâtés, pensant tout savoir mieux que les autres. Je me souviens alors de ce que disait Goscinny, alors rédacteur en chef de Pilote (mâtin !) : « Le jour où les lecteurs feront le journal, je n’aurai plus qu’à démissionner ».

De là, vous me pardonnerez si, pour l’heure, je ne parle pas de ces éléments et, sans doute, du plus prégnant de celui-ci, à savoir la connexion internet permanente. Mais cela rentre dans une réflexion plus globale dans laquelle DRM, « piratage » et marché de l’occasion ont chacun un mot à dire, et je n’ai pas encore réussi à me faire une idée précise sur la question. Aussi, j’aimerai revenir sur le jeu sur lequel j’ai dû me faire près de 30 heures sans voir le temps passer, et je ne chercherai pas à vous dire qu’il est mieux que Diablo 2, mais bien qu’il est différent de celui-ci.

Diablo 3 se jette à l’eau…

Plus que le cinéma, l’industrie du jeu vidéo a construit son histoire et son succès sur le principe des suites. Prenez un titre particulièrement célèbre et aimé, ajoutez des niveaux et deux ou trois nouveaux mouvements et hop ! un tout nouveau jeu est apparu. Les mauvaises langues seront promptes à dégainer les noms de Call of Duty et autres jeux de football, mais dès le commencement les grands succès d’arcade comme Breakout ou Pac-Man, ou encore les premiers gros jeux du monde du micro comme Lode Runner ou Manic Miner ont servi de base à d’innombrables clones et suites officielles. Les joueurs étaient ravis, et ils le sont encore aujourd’hui : prenez un titre comme Super Mario Galaxy 2. Ce n’est, tout au plus, qu’une « extension » du premier épisode, une sorte de « Lost Levels », et la chose est diablement efficace.

Bref, avec le succès, encore mesurable aujourd’hui, de Diablo 2 et de son extension, Lord of Destruction, autant dire que Blizzard avait un boulevard pour nous sortir un Diablo 3 qui n’aurait été qu’un Diablo 2 ++ : le succès était assuré, l’argent coulait à flot bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Allez savoir, cependant, mais les développeurs ont choisi la voie laborieuse. La voie compliquée. La voie des génies certes, mais aussi des grandes déconvenues. La voie médiocre, comme dirait Montaigne, c’est-à-dire moyenne, mitoyenne, du « juste milieu » : celle qui contente à la fois les vieux de la vieille et les nouveaux venus. Blizzard, pourtant fort de ses grands succès tels Starcraft, Warcraft ou le premier Diablo, a dû s’adapter pour survivre.

Les joueurs PC, c’est encore quelque chose dont ils se targuent même si leur forteresse est mise en branle, ont toujours pensé faire partie de « l’élite des joueurs », bénéficiant des meilleurs graphismes, utilisant les meilleurs contrôles, etc. Progressivement cependant, les consoles gagnèrent du galon et telles des tarasques féroces, envahirent les terrains de chasse gardée des pcéistes ; aujourd’hui, cela ne surprend plus grand monde qu’un jeu comme Skyrim ou même Torchlight sorte sur Xbox 360, Microsoft étant peut-être le trait d’union le plus efficace entre ces deux mondes.

La porosité de cette frontière, aujourd’hui, fait que des joueurs qui ne s’intéressaient que peu au monde de l’informatique se mirent à s’essayer à ses produits, et Blizzard d’avoir réussi le tour de force « d’ouvrir » le public des jeux PC à des populations étrangères, de la même façon que Nintendo avait su le faire avec la Wii ou la DS : pour aller vite en besogne, on peut dire que World of Warcraft a été le Nintendogs de Blizzard. Tout le monde s’est mis à jouer à WoW, même ceux qui, de fait, n’étaient pas spécialement attirés par le support ou le genre.

Aussi, je pense que l’engouement pour Diablo 3 a subi, au fil des années, de profondes modifications : attendu de base par les fanatiques venus du monde du PC et du jeu de rôle « à l’occidentale », ce sont par la suite les joueurs ayant connu Blizzard par l’intermédiaire de WoW et de Starcraft 2 qui se mirent à l’appeler de leurs vœux. Ici, Blizzard a dû faire un choix, sans aucun doute le bon – à ce qu’il me semble – mais qu’ils savaient dangereux. Ils ont fait le choix de l’avenir et non celui du passé, de l’évolution et non de la régression : en un mot comme en cent, ils ont choisi de rendre le jeu accessible.

Accessible, c’est-à-dire plus facilement compréhensible pour le profane. Se replonger dans Diablo 2 après une partie de Diablo 3 est un tour de force : si les graphismes et l’ambiance globale, bien évidemment, n’ont rien à se reprocher, c’est bel et bien le système de jeu qui le rend à présent moins évident, le joueur ayant la mainmise sur la moindre des caractéristiques de son personnage ce qui conditionne, alors, son style de jeu. Autrement dit, l’équilibre entre le déterminé – choix des compétences et des statistiques du héros – et l’aléatoire – objets récupérés sur les ennemis, les boss et les marchands – est perpétuellement mis en péril par le joueur, car il arrivait régulièrement qu’un objet formidable nous tombe dans les mains… alors qu’il ne correspondait absolument pas à notre style de jeu. Cela obligeait donc à tuer des monstres et des boss, encore et encore, dans l’espoir de récupérer le casque, ou l’armure, ou l’anneau, etc. nous correspondant le mieux.

Dans Diablo 3, le déterminé est, justement, le même pour tous. À chaque montée en niveau, le jeu octroie certaines capacités et attaques, ce qui fait que deux Barbares de niveau 20, par exemple, auront les mêmes statistiques. C’est alors l’aléatoire qui va conditionner les styles de jeu, avec l’idée que c’est au déterminé de se fondre sur ce dernier : en fonction des objets ramassés, le joueur va pouvoir changer son style de jeu sans pour autant refaire un personnage, ce qui évite, de là, la répétition ad libitum. Blizzard, quelque part, à réinventé le hack’n slash en le recentrant sur son intérêt premier, les objets aléatoires, préférant alors donner davantage de poids à la chance et au temps joué – ce qui est cohérent avec le nouveau style MMORPG de Diablo 3 – plutôt qu’à l’investissement et à la culture du joueur, phénomène devant favoriser les échanges et, surtout, l’utilisation de « l’hôtel des ventes » qui permet d’outrepasser la chance et de progresser sans se sentir freiné.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les joueurs se sentent particulièrement lésés sur le loot, car considérant qu’il n’est pas à la hauteur de leurs efforts. Pourtant, la formule reste la même : mais si, auparavant, les joueurs savaient quoi chercher car leur personnage était gravé dans le marbre, aujourd’hui, tout peut potentiellement leur convenir, car ils peuvent faire évoluer leur style de jeu instantanément. Un « cadeau » que beaucoup ont du mal à accepter, et en effet, cela peut désarçonner : quand tout ce que l’on vous offre est une récompense, comment reconnaître l’objet de ses rêves ?

Orgueil et préjugés

Terminer Diablo 2 en solo, et en mode normal, était assez compliqué. Il fallait faire du leveling, bien choisir ses compétences, revenir dans les actes précédents pour récupérer certains objets, etc. Le jeu, bien que n’étant pas le plus difficile du genre, demandait malgré tout un certain investissement pour en voir le bout.

Finir Diablo 3, en solo et en mode normal encore une fois, est bien plus accessible. L’on mourra de temps à autre, mais la mort, ici, est bien moins punitive qu’auparavant et les boss de fin d’acte, bien que longs à vaincre, sont étrangement plus accessibles que certains « champions » rencontrés le long des niveaux et qui nous donnent les meilleurs récompenses.

Quand on mourrait dans Diablo 2, c’était de « la faute du jeu », trop difficile se disait-on, et on repartait la rage au ventre pour finir ce donjon qui nous résistait tant.

Quand on meurt dans Diablo 3, c’est « de notre faute », on a fait une erreur se dit-on, et on repart, un sourire aux lèvres, afin de s’améliorer. Diablo 2 était une belle farouche mais putain, qui nous repoussait sitôt qu’on l’approchait avec un bouquet de roses, et que l’on devait forcer pour se faire plaisir. Diablo 3 est une fleur de la passion torride et aimable, douce bien que fière, et qui toujours se laisse courtiser.

Diablo 3 est un jeu de notre temps : accessible mais complexe quand on s’y attarde, faisant la part belle à l’histoire et aux actions scriptées, refusant de garder le silence. Il est, en ce sens, un excellent baromètre de l’état de l’industrie à l’heure d’aujourd’hui, un magister dixit ou un mètre-étalon.

De là, y jouer permet de se rendre compte, sincèrement, si nos goûts ont évolué avec le média ou à son encontre, si l’on est vieux con ou jeune merdeux. J’appartiens personnellement à la deuxième catégorie.

Et vous, à quoi jouez-vous ?

Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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