Monkey Island : le bon, la brute et Freud…

Je me souviendrai toujours de cet instant béni où, plus par hasard qu’emprunt de curiosité du haut de mes douze ou treize ans j’installais, sans savoir réellement jusqu’où cela me mènerait, ce jeu qui à mes yeux restera à jamais une preuve unique de la beauté du monde du jeu vidéo, de sa force et de sa diversité, enfin. À jamais, dans mon cœur, dans ma tête, toujours je fredonnerai un même refrain : « Un jour, j’irai sur l’île aux Singes. »

 

Cependant, ce ne sont pas des jeux estampillés Monkey Islanddont je vais ici parler, mais plutôt de leurs personnages principaux : Guybrush l’ex-futur pirate, Elaine la gouverneur de l’île de Mélée et LeChuck l’infâme ; car sous leurs dehors de types et de stéréotypes, le bon, la belle et le mort-vivant, se terre une réalité plus profonde que j’aimerai ici vous faire partager.

En un mot comme en cent, je désirerai vous faire « voir » Monkey Island comme je l’ai vu, et essayer de vous convaincre qu’il y a plus dans ces jeux que de l’humour, de l’aventure, des énigmes et du grog.

Il y a aussi de la poésie.

Bon, d’accord, ce n’est peut-être pas la meilleure image pour illustrer cela…

 

 

Guybrush Threepwood : un personnage complexé, à jamais insatisfait

Je me rappellerai toujours la première fois que j’ai vu ce personnage équivoque, insignifiant, plus petit que ce pixel, là, dans le coin, qui représente une feuille ou un brin d’herbe. Le personnage, à mes yeux, est risible. Non, il ne peut même pas être risible tant il est invisible. On voit à travers. Seule l’odeur pestilentielle de ses aisselles le rappelle à notre bon souvenir.

Il se passe alors quelque chose d’étrange : on le voit, mais on ne rit pas. On ne pense pas. Honnêtement, dans le premier opus, Guybrush peut passer pour un figurant. Je l’imagine très bien, dans une pièce à succès, l’une de celle qu’on attend avec impatience, monter sur scène, esquissant un pas de danse ou deux et dans la salle, un silence, un bide total : un ange passe, personne ne bouge. Guybrush lève doucement la main… « je suis Guybrush Threepwood ! »

Ça, ce sera ses premiers mots dans Monkey Island. Il monte sur la montagne qui surplombe la ville, regarde à gauche, à droite, s’approche du guetteur et dit : « Je suis Guybrush Threepwood, et je veux devenir un pirate ! » Sur ce, au guetteur de répondre : « Tu m’as fait peur, crétin ! Tu veux quoi ? » Le problème de Guybrush, c’est son insignifiance ; mais c’est pour cela qu’on ne peut que l’aimer.

Guybrush n’a rien pour lui. Il n’a que deux armes : un nom imprononçable et une répartie aléatoire, capable du pire comme du mauvais. L’on comprend cependant qu’aux côtés des marines exhibant des muscles que le commun des mortels ne possède pas, des télékinésistes défiant les lois les plus élémentaires de la physique et des plombiers qui tardent à réparer les fuites, ce personnage nous ressemble, et bien plus qu’on ne pourrait le croire.

La vérité, c’est que nous sommes nous aussi insignifiants : certes, nous fondons des familles, travaillons, payons nos impôts. Mais tous, nous rêvons de gloire formidable, de succès inestimable, d’ovation sans retour. Et comme Guyrbrush, nous n’existons que par et pour une unique chose : la reconnaissance, le regard des autres. Moi-même, je ne vis que si l’on me remarque. Sans ça, je me fonds dans la masse. Je ne suis ni beau, bien que je ne sois pas le plus laid, ni petit, bien que je ne sois pas le plus minuscule, ni intelligent, bien que je ne sois pas le plus bête. Je suis, on peut le dire, d’un ordinaire et d’une banalité affligeante comme cela n’est point permis, ou plutôt, si : cela est permis. C’est permis, et même, dans le cas de Guybrush, et pas dans le mien hélas, cela reste une autre arme : dans un monde rempli d’autres, comme c’est difficile d’être soi ! Tous, autour de lui, tous sans exceptions ont plus de caractère que lui. Même le chien de la prison de MI2, même le vendeur de Limonade de MI3, tous ont plus de caractère : Guybrush se fait systématiquement rabaisser.

Guybrush se fait insulter, on ne le prend jamais au sérieux, même et surtout quand il l’est, et si on accepte de le suivre, c’est pour pouvoir se dire : « Mais c’est pas vrai, il se moque de nous, là, il va enfin nous dire qu’il joue la comédie ! ». Il tombe une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, mais se relève toujours, retombe, se cogne à nouveau et enfin triomphe ; car s’il faut rendre ses mérites à Guybrush, il n’a aucun scrupule à essayer. On est dans un jeu Lucas Arts ! On ne peut pas mourir ! Alors allons-y ! On dit au méchant qu’il a un gros nez et on lui donne un coup de pied aux fesses, on s’approche dangereusement de cette falaise juste pour entendre quel bruit feront nos vertèbres en se brisant, on tente encore et encore ; mais jamais il ne perd de vue le but à atteindre, ce Graal qui porte des formes diverses, de la carte d’une île au bateau, à l’équipage ou à la malheureuse pièce de huit qui lui manque pour s’acheter cette figurine de LeChuckichu, issue du jeu à succès « Piratemon ». Guybrush se moque éperdument du chemin : il ne perd jamais de vue son objectif.

On peut pas dire qu’il a la classe d’un Johnny Depp…

Car c’est ça, en réalité, qui lui donnera de l’importance, enfin, croit-il. Ce n’est pas qu’il a essayé de faire, c’est ce qu’il a réussi à faire. Comme j’ai dit, Guybrush existe via le visage que les autres lui donnent. Donc que fait-il pour se valoriser ? Il se laisse pousser la barbe, il enjolive ses récits et écrit ses mémoires. Mais pourquoi, en définitive ? Son vrai but, quel est-il ? Devenir un pirate ? Je ne crois pas. S’il avait débarqué en France, il aurait voulu devenir Président, et s’il avait échoué au Moyen-Orient, calife à la place du calife. Son but est d’acquérir un statut. Pirate, gouverneur, etc. Ce statut, il compte l’obtenir par ce qu’il fait, qu’importe la moralité de ses actes.

Bien sûr, son fond honnête le conduit irrémédiablement à rester dans une pseudo-légalité. Mais quand il dit à Wally, dans MI2, que c’est Dread qui a volé son monocle alors qu’il le lui avait dérobé peu avant, il veut en réalité éviter que les autres aient une image défavorable de lui. Et je suis sûr et certain que même s’il avoue le ridicule évident d’une chaîne de restaurant à son image dans MI4, en réalité, il en est fier, comme de bien entendu. Le plus grand plaisir de Guybrush, ce n’est jamais que l’on scande : « Je suis ami avec Threepwood, et j’ose le dire ! ». Seulement alors, il sera heureux.

Guyrbrush ressemble à un petit enfant, au petit poucet qui doit affronter l’ogre pour devenir adulte. Via les épreuves, il va faire des rencontres, et se rendre compte tout de même qu’il a du mérite, qu’il a des talents malgré tout. Et en le dirigeant, le joueur, qui le prenait pour un être insignifiant, dont l’arrivée dans le jeu a été annoncée sans tambours ni trompettes, est surpris. Il se dit : « Ou j’ai été fourvoyé, ou il cachait bien son jeu ». Mais la vérité, c’est qu’il apprend. Et surtout, il va apprendre la confiance en lui. Il va comprendre enfin que si on l’aime, que si Elaine l’aime, ce n’est pas pour l’image idéalisée qu’il renvoie. Elaine se contrefiche qu’il ait battu LeChuck à 4 reprises, qu’il soit un pirate ou non. Elle, elle l’aime pour lui, pour ce qu’il est. Mais ça, jamais Guybrush ne voudra l’admettre. Encore, dans Escape from, il raconte son aventure pour trouver les avocats du grand-père d’Elaine, et enjolive d’une manière très exagérée, si exagérée que ça en devient risible son épopée.

Il n’ose pas assumer son être.

Guybrush reste un héros en mal d’affection qui cherche une reconnaissance. Et même quand on la lui montre, qu’on le la lui colle sous le nez, il la réfute, il devient soudainement modeste, allant même jusqu’à affirmer que c’était du hasard ou qu’il n’a pas fait grand chose. Quand il libère dans MI2 Kate Capesize de la prison de Phatt, il s’excuse, il ne cherche pas à expliquer qu’il a fait ça pour battre LeChuck et que, à présent, il répare ses erreurs. Kate n’aurait rien dit, on le sait, elle est bonne comme tout malgré son air précieux. À l’inverse, Guybrush a souvent des sursauts d’orgueil, mais uniquement pour arriver à ses fins. Ces soubresauts ne se présentent que comme un moyen, là où certains utilisent la parole ou la violence ; lui utilise l’orgueil, orgueil qui lui a servi à recruter son équipage dans MI3 : OUI je peux trouver de l’or, OUI je peux te battre en duel, OUI je peux te battre au lancer de tronc. Il relève tous les défis, il se donne corps et bien, il montre qu’il est capable. Mais une fois qu’il a accompli son exploit, il courbe l’échine et là où il devrait être orgueilleux, juste soupire et dit qu’il se trouvait là au bon moment.

« Mais comment vous avez su ? »

 

L’innocence de Guybrush peut prêter souvent à sourire, mais ce comportement le place plus que jamais dans l’optique de l’enfant des contes de fée dont je parlais plus haut. La marque la plus flagrante à cet égard reste qu’il dit ce qu’il pense, généralement, lors d’une première rencontre avec quelqu’un. Pas tant sur lui, car il aura toujours tendance pour arriver ses fins à se valoriser et lors des lauriers à disparaître, mais sur ce qu’on lui raconte : on peut même dire que là, sa répartie sert à « casser » son interlocuteur. Lorsque Stan, dans le premier opus, lui conte l’histoire du bateau « Le Singe des Mers » et parle de l’île aux Singes, la réplique de Guybrush est sans appel: « Il n’y a pas de singes aux Caraïbes ». Stan rétorque: « Tais-toi ! C’est une histoire formidable ! » Mais pour Guybrush, c’est d’ores et déjà fini, il n’y croit plus. Il a décroché. Oh, il va encore écouter et apprendre, mais sans âme, rien. Indubitablement, puisque Stan ne l’a pas corrigé sur le point qu’il a soulevé, il a raison et le monde entier à tort. Il endosse alors là une lourde charge !

L’anti-héros devient héros, si ce n’est que là où le héros est soi-disant désintéressé, lui devient héros d’orgueil, pour acquérir ce statut, et partout on le reconnaîtra comme celui qui a tué LeChuck. Mais il croira encore qu’il lui faut toujours faire des preuves, toujours faire plus et ce à jamais. Éternel indécis, Guybrush est amené à rester dans une ombre pathétique, étant souvent sur le devant de la scène mais n’apprenant jamais à jouir de l’instant présent, de se dire enfin : « Je suis ce que je suis, et je suis heureux de l’être. » Jamais, il aura toujours quelque chose à faire. Guybrush, outre la loose qu’il véhicule reste un sempiternel hésitant qu’il convient de rassurer constamment, même s’il prétend le contraire.

Et cela, il n’y a guère qu’un seul personnage qui ait su le comprendre : Elaine.

Elaine, une mère plus qu’une épouse

 

Oui, je le clame bien haut également, Elaine n’aime pas Guybrush comme on aime un homme. Non, elle l’aime comme son fils. Et ça tombe bien, vu que Guybrush est un gamin ! Elaine endosse le rôle de mère, la mère qu’il n’a jamais eu, et fait quelque chose de simple : elle le rassure. On peut l’imaginer, Guybrush apeuré, indécis, suçant son pouce et elle, doucement, lui caressant la tête, lentement, lui susurrant des mots doux et emprunts d’amour, d’un amour plus maternel que passionné, du moins dans le sens qu’on pourrait le concevoir entre un homme et une femme de leurs âges.

La première rencontre entre Elaine et Guybrush se fait en deux étapes. La première est à sens unique : le pirate voit l’affiche dans la ville de Mélée. Là, il est déjà sous le charme. Il se dit: « Cette femme, je l’épouserai. » Dans sa tête, c’est clair et net. C’est encore une fois la notion de but qu’il s’est fixé. Il dit : « Je l’épouserai », comme s’il avait dit : « Il me faut un bateau ». La seconde rencontre est celle avec le dur lino du manoir de l’île. Devant Elaine, devant Elaine physiquement présente, alors qu’il voulait être orgueilleux, juste montrer les pectoraux, ce que tout un chacun aurait fait, lui, il est timide : il bredouille, bafouille.

Elaine se dit alors : « Lui, il me plaît ». Pourquoi ? Simplement parce que son dernier prétendant était l’exact opposé de Guybrush, son Némésis. Mieux, on pourrait dire qu’Elaine est la mère de deux enfants : LeChuck et Guybrush. Guybrush, le cadet, tendre et sensible, profondément bon voire débonnaire. De l’autre côté, LeChuck : orgueilleux, puissant, fort, sûr de lui. Il veut certes, mais il est prêt à tout casser. Il ne sait agir qu’avec violence. Quand dans MI3, au cours de l’introduction, il déclare sa flamme à Elaine, il donne tout de même un petit coup de canon, au cas où. Guybrush, lui, ne va pas utiliser de manière frontale la violence. Il pourra en user, mais uniquement lorsque ce sera la seule solution ; sinon, il sera très ouvert dans ses démarches.

Toute la différence se tient ici : LeChuck est persuadé que la raison du plus fort est toujours la meilleure, mais Guybrush sait qu’il a raison parce qu’il a discuté et en a tiré une conclusion. Elaine est confrontée au choix, elle doit décider qui elle va chouchouter.

Elaine aimait beaucoup son grand-père, qui était vraiment un père pour elle, et qui a disparu dans de sombres circonstances. Ce vide l’a profondément affectée, et elle a cherché du réconfort un peu partout. Mais tout le monde autour d’elle s’est mis à exhiber ses muscles, à dire : « Moi je, moi je, moi je. » Guybrush est venu, a dit : « Moi je », mais il pensait : « Je ne suis rien » ; il imite juste les autres pour se fondre dans la masse. Et Elaine, en tant que femme avertie, que seconde mère, le sent. Elle le sait qu’il mérite d’être aimé. Et la plus grande victoire d’Elaine, c’est qu’un jour Guybrush soit fier de lui. Qu’il devienne orgueilleux sans scrupule. Mais comment s’y prend-elle pour cela ? Simplement, en le provoquant. Que ce soit par la parole (début de MI2, Guybrush suspendu à un ravin, Elaine arrivant. « Elaine ! C’est une longue histoire ! » « Vas-y, j’ai tout mon temps ») ou par les coups de poing. Mais pour le cas du début de MI2, Elaine voulait juste que Guybrush dise : « J’ai besoin de toi, j’ai besoin d’aide. » même d’une manière désintéressée. Se rendre compte qu’il n’est pas seul dans la vie. Quand elle le frappe, c’est une autre forme de provocation. Oui, Elaine peut paraître hautaine, précieuse, orgueilleuse… Mais écoutez-là au début de MI3 : elle le dit ouvertement, « Le seul homme que je n’ai jamais aimé, c’est Guybrush Threepwood ! » Et sa réaction ? Il est heureux. La reconnaissance d’Elaine est son meilleur bonheur. Mais Marley évite de le lui dire (quand elle prononce ces mots dans MI3, elle ne sait pas que Guybrush est là), pour obliger le pirate à changer sa manière de penser. Et là seulement, quand Guybrush se sera comporté une fois comme un homme, elle pourra l’aimer comme une femme.

Avec LeChuck, Elaine a d’autres réactions. Non qu’elle en ait peur, mais elle va lutter avec elle uniquement en mots. Elle ne va pas chercher à le vaincre par la force, même si elle en était capable car ce n’est pas à elle de le faire : elle attend patiemment que Guybrush la défende, qu’il assume enfin son amour. Face à LeChuck, Elaine joue les minorées, la princesse en péril. La vérité, c’est qu’elle se sert de LeChuck. LeChuck joue contre lui en étant ce qu’il est, car il conforte Elaine dans ses idées, et ainsi, plus il est méchant et plus il joue des biceps, plus il rapproche Guybrush et Elaine et plus il perdra. Elaine ne veut que le bien de Guybrush ; et elle rêve quant à elle de devenir sa femme, sa vraie, et non sa mère.

« J’aimerai tellement que mon Mari dise cela… »

 

LeChuck, le faire-valoir

 

LeChuck n’est pas un méchant. C’est un accessoire. Pourquoi ? Simplement parce qu’il sert les ordres d’Elaine et joue pour Guybrush. LeChuck représente le visage de Guybrush s’il n’avait pas rencontré Elaine. En fait, LeChuck n’est autre que Guybrush, mais un Guybrush si sûr de lui qu’il finit par ne douter de rien, il est convaincu que la force reste la meilleure solution, et accuse le coup : les autres, tous les autres doivent payer. Tous, sans exception. Elaine, il s’en contre-moque : ce n’est pas son amour qu’il désire, il veut pouvoir dire : « J’ai tout ce que je veux ! » LeChuck est un enfant gâté, à qui on ne refuse rien, et qui veut tout tout de suite, sans que personne ne bronche. Et gare aux autres si on le respecte pas ! LeChuck a la force, a un équipage, a le pouvoir, a toutes les îles sous son fief. Il ne manque qu’Elaine. Et un jour est apparu Guybrush.

Guybrush n’a pas été vu à la base par LeChuck comme un rival, mais comme un élément perturbateur, un grain de poussière qu’il convenait de balayer. Mais plus il faisait attention à lui, plus il gagnait en importance, et plus Elaine s’y intéressait. La situation lui a peu à peu échappé. Il ne comprenait plus. La force ne servant à rien, il devint plus subtil. Et si dans MI il donne de gros coups de poing au héros, dans MI2, il se sert d’une poupée vaudou ; il change, il évolue. LeChuck lui aussi progresse, mais n’apprend rien en réalité. Son seul but, c’est tuer Guybrush, pour retourner à sa situation initiale : être le roi. L’évolution fait peur à LeChuck. Il préfère rester en retrait, dans l’ombre, doucement, et faire en sorte que rien ne bouge. Et quand les choses bougent trop, on écrase le cafard qui a osé se rebeller et on reprend ses activités.

« Et qu’on me ramène plus de crudités ! Ça donne faim, d’écraser les cafards ! »

 

LeChuck est réellement l’opposé de Guybrush. Là où se dernier évolue et apprend, LeChuck reste le même, encore et encore. Il ne progressera pas. Il ne veut pas progresser. Il n’en a pas besoin, en vérité. Et dire que c’est lui qui change si souvent de peau ! Fantôme, Zombie, être de feu, statues géantes. Il change de peau comme de chemises, dans l’espoir qu’il pourra s’imposer. Le petit pirate reste le même, évolue par ses actions, mais ne trompera jamais sur ce point qu’est son apparence. LeChuck, lui, s’en moque : s’il change si souvent de formes, c’est pour montrer que peu lui importe d’être le maître, tout compte fait. Il ne veut pas que les choses changent. Il est profondément rattaché au passé, aux valeurs de son temps, à la grande piraterie et se croit un devoir de la restaurer.

Mais plus il reste immobile, plus il voit les choses s’accélérer autour de lui, et plus il s’enferme, encore et encore. Il devient de plus en plus agressif, acide, cinglant. Et on le fuit encore plus vite, c’est une spirale infernale dont jamais il ne pourra sortir. C’est inéluctable. Appelez-le destin ou fatum, citez Phèdre de Racine si ça vous chante, mais on ne peut rien y faire. Elaine l’avait clairement vu. Elle lui dit : « Tu n’en vaux pas la peine. Tu ne veux pas régler tes problèmes, alors débrouille-toi. Quand tu voudras que l’on t’aide, tu laisses un message sur mon portable. Mais en attendant, va juste te faire voir. » LeChuck n’en fera rien. Il ne veut tout simplement pas le faire. Et il voit à côtés Guybrush vaincre, et ne comprend pas, ne peut pas comprendre : il est si obnubilé par son nombril qu’il ne voit pas le reste.

 

Si Guybrush est un p’tit gars modeste, LeChuck est un orgueilleux forcené, introverti, égoïste, incapable d’aimer qui que ce soit. Mais il s’imagine devoir créer un monde idéal, pour lui, pour lui, et pour lui, en grand mégalomane qu’il est.

On se trompe de secret…

Le secret que l’on cherche, ce n’est pas le secret de l’île aux Singes, en vérité. Le secret, le mystère que l’on doit résoudre, c’est Guybrush. C’est lui le point d’orgue autour duquel tout se joue. Le jour où enfin il deviendra un homme, un pirate, alors la série s’arrêtera, elle n’aura plus lieu d’être. Pendant quelques jeux, on aura assisté au parcours initiatique d’un petit enfant, qui a juste levé la tête vers ce monde d’adultes fantomatiques dont il ne comprenait rien et qui a juste dit : « S’il vous plaît, remarquez-moi. »

C’est ce que l’on souhaite à chacun de nos enfants, de nos amis, de nos proches. Qu’enfin ils réalisent qu’on les aime pour eux, avec leurs défauts et leurs qualités. Pas la peine d’en faire de trop, on les aime, point. Et quand ils s’en aperçoivent, alors enfin on peut être heureux à notre tour.

Monkey Island, ou la quête du bonheur véritable.

 

Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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