Cuphead – Ever after… ou non ?

   Cuphead est un excellent jeu. Là, je l’ai dit et j’accompagne en ce sens les louanges ininterrompues. Graphiquement et musicalement, le jeu est exceptionnel, c’est bien du jamais vu de mémoire de joueur et il suffit d’ouvrir n’importe quelle page Internet en parlant pour s’en rendre compte. Plus rares, cependant et peut-être, sont les critiques négatives et pourtant, il en est : car Cuphead  est perfectible quant à son gameplay fondamental et ses challenges les plus avancés, sans pour autant que je ne renie ici ses points forts.

   J’aime Cuphead. De tout mon cœur, profondément, inaltérablement, comme je n’avais aimé un jeu vidéo depuis plusieurs mois. Il fait partie de cette caste qui m’a fait dire, les dix ou quinze heures qu’ont duré le premier parcours de l’aventure, alors qu’il faisait nuit et que je devais me lever tôt le lendemain, « je fais encore ça, et puis j’arrête » ; et je l’ai répété dix, vingt, trente fois ce mantra avant de finalement éteindre l’ordinateur et avant de finalement revenir enragé, car je pensais à présent savoir vaincre le robot géant ou le dragon furieux. J’aime tant le jeu que je me suis surpris à redessiner, à représenter ses délicieux personnages et ses ennemis tant j’aime leur design ; j’aime tant le jeu qu’encore écouté-je en boucle sa bande son incroyablement jazzy et délicieusement belle, sans m’en lasser. Je l’aime tellement, enfin, que je me consacre à ses derniers challenges et nommément au mode « Expert », accessible une fois le dernier boss vaincu, et à l’obtention des grades « A » pour les combats réguliers.

   J’ai bien dit, « Grades A » et non pas « Grades S », comme les savants voudront sans doute me reprendre. J’ai très rapidement laissé de côté cette épreuve, je ne voulais point devenir fou : mais, et c’est ça sans doute qu’il faudrait retenir de cet article et de ce compte-rendu, je ne voulais devenir fou non à cause de la difficulté du jeu, mais de son injustice latente et de son déséquilibre certain. Car Cuphead, et les testeurs pour une fois ont eu raison de le souligner, n’est pas sans accroc et manque de peaufinage dans ses dernières étapes, il est sur le podium certes mais peine à trouver l’équilibre là où Metal Slug ou Contra, pour ne citer que des dinosaures du genre, campent inébranlables à ses côtés.

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   À quoi la faute, à qui l’erreur ? Je donnerais deux éléments : l’un inévitable hélas, et découlant directement des partis-pris esthétiques du jeu, partant, excusable et nécessaire ; l’autre évitable en revanche, et qui pourrait dans le meilleur des mondes bénéficier d’un patch ou d’une mise à jour.  Car c’est bien là encore l’absurdité de cette situation : l’imprécision peut se corriger tant elle n’engage pas en profondeur le principe même de notre partie.

   Commençons par le premier élément, gênant sans doute, mais hélas sans possibilité de changement, du moins, je ne vois guère comment : un problème patent de lisibilité lors des phases les plus avancées du jeu. Si les adversaires tous ne se comportent pas de la même façon, la plupart répond à une définition plus ou moins « molle », ou « arrangée », de ce que l’on appelle le bullet hell (ou manic shooter, ou danmaku me souffle-t-on dans l’oreillette). Dans ce style, la lecture de l’écran fait tout : il faut qu’à chaque moment, malgré la quantité incroyable de projectiles et d’éléments mouvants, un chemin clair et évident s’ouvre à nous. Le suivre, là est la difficulté : mais prenez n’importe quel screenshot de tel Dodonpachi ou que sais-je et, au crayon, très facilement peut-on tracer le chemin menant à la victoire ou, du moins, celui qui nous évite l’échec explosif.

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   Cuphead ne parvient pas toujours à respecter cet engagement. Le jeu est coloré et magnifique, les dessins (je n’ose pas parler de sprites ou de polygones, nous sommes au-delà de ça) fouillés et dynamiques mais, partant, notre attention est comme toute diluée et il devient incroyablement difficile d’entrapercevoir les projectiles entre les nôtres, ceux de notre éventuel compagnon, et ceux des boss. Lorsque le pattern est régulier et attendu, et les premiers boss répondent à ces conditions, cela n’est pas encore très gênant : l’on apprend, on fait l’effort du par cœur, et voilà. En revanche, lorsque ces attaques sont soumises au régime de l’aléatoire, comme une grande part de nos combats, la lisibilité devient des plus problématiques ; et je regrette, même si cela aurait nécessairement trahit l’esprit du jeu, ne pas avoir accès à une option débloquant comme un curseur indiquant perpétuellement où se trouvait mon personnage, et cette qualité serait d’autant plus profitable en couple.

   Ce manque de lisibilité, partant, rend l’obtention des « Grades S » assez laborieuse déjà puisque ceux-ci exigent de ne jamais se faire toucher, et en mode « Expert » encore où les patrons rivalisent d’agressivité. Ce faisant, l’obtention de la récompense, du Graal ultime, est comme indexé à une composante de chance et non pas uniquement à nos seuls talents. Cela se voit notamment auprès de certains boss tels Cagney Carnation (« la fleur ») ou Djimmy the Great (« le génie »), qui vous harcèlent continûment de projectiles. Votre seul espoir, et c’est du moins surtout comme ça que je l’ai vu faire, est d’abréger la confrontation grâce à quelques glitchs qui commencent à être connus (dont le WCG, ou « Weapon Change Glitch » qui permet de doubler les dégâts) : et corriger cet élément, c’est rendre plus sensible encore la part du hasard présidant une bonne moitié des confrontations.

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   Ça encore, aussi malheureux pourrait être ce « défaut », je peux le comprendre et je l’accepte, pour ainsi dire : le choix graphique tel qu’imposé aux développeurs n’alla pas sans un compromis de lisibilité qui, en mode « Regular » et exception faite de quelques challenges de complétionniste, soyons honnête, n’est cependant pas destructeur. C’était attendu, peut-on le croire, et j’accepte très volontiers l’argument. En revanche, je trouve plus compliqué d’accepter le mélange malheureux et inéluctable de certains enchaînements, de certains patterns qui auraient dû bénéficier d’une nouvelle séance d’optimisation. Je reprends mon exemple précédent, celui du screenshot d’un danmaku : le caractère réglé, minuté comme du papier à musique qui de ces shoot’em up, qui de ces run’n gun, permet d’imposer au joueur un très grand nombre de « projectiles » puisque l’on sait qu’à chaque mort le chemin clair, évident, la safe zone, statique ou mobile, que l’on aurait dû prendre pour survivre, apparaîtra enfin.

   Cuphead, malheureusement même si, une fois encore, cela est loin de concerner toutes ses épreuves, ne respecte pas toujours ce principe et c’est alors bien moins excusable, et c’est bien plus énervant. Il ne s’agit pas de dire, telle attaque est aléatoire et apparaît tantôt ici, tantôt là : malgré cette variable, on peut généralement l’effacer et ne jamais se faire toucher, en « Regular » encore une fois, puisque les boss, souvent, patiemment attendent qu’une attaque s’achève pour lancer la prochaine. Et puis, certains boss comme Cala Maria (« la sirène »), Cagney Carnation encore ou Wally Warbles (« l’oiseau ») lancent deux attaques simultanément, invoquent des mignons au déplacement erratique se combinant avec d’autres obstacles et, rapidement, l’écran se surcharge tant et tant qu’il est non seulement douteux d’espérer s’échapper sans se faire toucher mais, de plus, nous ne pouvons rien apprendre de notre échec. Le jeu, pour le dire, ne se fonde plus que sur nos seuls réflexes.

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   Déjà, ce phénomène rentre comme en contradiction avec cette étape de mémorisation qu’on nous demande parallèlement, et qui n’exige aucun flottement ; mais, surtout et plus grave sans doute, le style graphique du jeu, cette fois-ci, empêche cette idée de s’exprimer en plein. En effet, contrairement au danmaku, encore une fois, ou même aux run’n gun que l’on peut connaître, il n’y a pas chez Cuphead d’écart entre le modèle graphique et la hitbox du héros, ou alors ridiculement : être effleuré du lobe, c’est perdre un point de vie. C’est un choix respectable, mais aux conséquences désastreuses pour le jeu : tandis que, pour les stages aériens, l’esquive nous permet de rapetisser et de se faufiler éventuellement, impossible de faire de même lors des stages pédestres. La « Smoke Bomb » (dash avec invincibilité) est utile, me dit-on et certes : mais dans la mesure où, et c’est le deuxième point, les procédures d’évitement dépendent de la combinaison des attaques, elles sont généralement inefficaces.

   Il est, j’en suis persuadé et cela m’a été confirmé par des amis, par des membres de Grospixels, après avoir lu beaucoup de tests, des attaques qui ne sont tout simplement pas évitables, quoi que l’on fasse ou alors par chance uniquement, et qui nous éloignent des plus hautes notes du jeu. D’ailleurs, je ne m’interdis pas de voir un aveu d’échec de la part des développeurs, puisqu’ils n’exigent que le « Grade A » dont je parlais plus haut, et donc de se démener qu’en « Regular », pour obtenir une option bonus tandis que la seule mort des boss en « Expert » augmente notre pourcentage de réussite. Il n’aurait pourtant pas fallu grand chose : équilibrer le nombre de serviteurs invoqués par tour d’attaque ; synchroniser un rayon avec un projectile ; augmenter ou abaisser la puissance de tel tir ou de tel autre pour avoir un rendu bien plus agréable et atteindre la perfection.

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   Tout ceci, entendons-le et comprenons-le bien, n’enlève rien à la rondeur, aux immenses qualités et au jouissif plaisir de Cuphead et ce dans toutes ses directions, graphiques et musicales surtout, et même à dire vrai dans les grandes lignes de son gameplay qui, à défaut d’être magistralement innovant, est d’une efficacité sincère. Je le redis encore : Cuphead est un excellent jeu. Mais il n’est pas un grand jeu, du moins pas à mes yeux, à cause de ces derniers soucis d’affinage qui empêchent les joueurs invétérés de se dépasser et de se sentir satisfaits des efforts développés. Il sera, et à n’en point douter, un jeu culte, c’est un instant classic je pense, qui sera éternellement salué comme une réussite incontestable.

   De mon côté cependant, et même si cela paraîtra peut-être prétentieux, ou goguenard, ou que sais-je, j’attends déjà une suite corrigeant et améliorant ces aspects tout en conservant l’intelligence et la beauté du reste. Je veux qu’il soit ce que fut Donkey Kong Country 2 à Donkey Kong Country, premier du nom, si l’on veut et si l’on préfère : le même, mais meilleur, plus intelligent, plus grand, plus méritant, transformant les décevants bonus de jadis en stimulantes récompenses du maintenant. Et ce n’est pas pour moi, ce me semble, une méchante critique que de réclamer cette suite au studio et de les ordonner de poursuivre leur rêve : en ces temps de one hit wonder, de ces jeux indépendants longtemps attendus mais qui ne supposent aucune suite, en voilà un qui me fait enfin dire « allez-y : je vous attends avec un plaisir dix fois plus grand que la première fois ». Et rien que pour ça, Cuphead figurera dans mon panthéon personnel à jamais.

   Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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