Mathieu (7) : De la philosophie du jeu vidéo

 Autant le reconnaître, je dis énormément de clowneries. Entre ici, Grospixels, Radio01 et consorts, il serait pour le moins étrange que jamais je ne dérape. Mais j’aime bien assumer : au pire, cela me donne un prétexte pour une tribune.

   J’aimerai revenir sur le dernier de mes articles, parlant de The Wonderful 101 et, en particulier, sur les deux derniers paragraphes qui auront été remarqués, je le crois, par quiconque. Ces paragraphes, les voici :

« Et je le répète encore une fois, au cas où, mais ce jeu me donnera encore raison, il n’y a peut-être plus aujourd’hui que Nintendo qui fasse du jeu vidéo, du « pur », du « tatoué », celui qui nous émerveille, nous énerve, nous stimule et nous amuse dans un même élan.

    Les autres, eh bien, ne font plus que du divertissement. Et je ne suis pas certain, malheureusement, que les journaleux ou les joueurs ont pleinement conscience de ces deux philosophies aujourd’hui : pour paraphraser Einstein, si vous demandez à un poisson de grimper à un arbre, vous finirez par croire qu’il est stupide alors que le problème est peut-être ailleurs…« 

   Pour vous dire toute la vérité, ces paragraphes ne figuraient dans le « premier jet » de mon article initial, qui s’achevait alors sur la comparaison entre ce dernier jeu et Viewtiful Joe. J’étais plus ou moins satisfait du « papier » mais, finalement, j’ai choisi de rajouter ce petit laïus. Cela se « sent », du reste, je pense : la cohésion avec le reste du texte n’est pas des plus travaillée et cela ressemble davantage à un post-scriptum qu’autre chose. J’ai choisi cependant de conserver la chose car, finalement, elle introduit une idée qui me trotte dans le crâne depuis quelques temps, et que je vais pouvoir développer ici.

   Il est vrai, tout d’abord, que j’aime Nintendo, tant le constructeur que l’éditeur. J’ai surtout été élevé avec leurs jeux et leurs consoles et comme disait l’autre, « on garde toujours quelque chose de l’enfance ». Je mange à présent à tous les rateliers, que ce soit sur PC, sur consoles Sony, Sega ou Microsoft ; et si, sans aucun doute, j’ai bel et bien mes marottes, je me défends d’être un béni-oui-oui bêlant adorant tout ce qui sort de leurs écuries, y compris concernant leurs séries les plus populaires. S’il est certain qu’étant un habitué de ces univers je tends à être, au choix, ou bien plus conciliant, ou bien plus sévère avec ce qu’ils produisent, j’ai su avec le temps développer mon propre goût en mangeant de ci, de là et comprendre ce que j’attendais d’un « jeu vidéo », ce que j’appréciais et ce que je n’appréciais pas.
Ceci étant posé, il m’a semblé voir, tandis que je suis avec plus ou moins d’assiduité ce microcosme depuis le début des années 1990, une division nette non du « marché » du jeu vidéo mais bien de sa philosophie, philosophie qui n’a rien à voir avec une répartition simple entre « casual » et « hardcore »
gamers, joueurs « sur smartphone » ou « sur PC/Console » ou que sais-je encore : tous ces qualificatifs, qui ont sans aucun doute un intérêt pour un homme en costume devant un powerpoint au sein d’une assemblée d’actionnaires, ne s’intéressent jamais qu’aux conséquences d’un phénonème plus profond que je vais appeler ici les « philosophies du jeu vidéo ».

   L’appellation même du média indique, comme s’il n’avait rien à cacher, les deux directions qu’il peut prendre : le jeu vidéo peut soit être considéré avant tout comme un « jeu », au même titre qu’une partie de belote, de Monopoly ou de football, qui se déroule cependant par l’intermédiaire d’un support vidéographique, soit être une « vidéo », donc quelque chose d’approchant de la télévision ou du cinéma dans laquelle se trouve des moments ludiques et interactifs. En définitive, tout autant une partie de Dungeons & Dragons dont on aurait remplacé le Maître du Jeu par un film pré-enregistré que ces attractions du Futuroscope qui font défiler un film et où on demande, à des instants précis, aux spectateurs de choisir à l’aide d’un boîtier la suite de l’intrigue sont, de très loin cependant je le concède, des « jeux vidéo ».

   Cette association, cependant, est en tension car il paraît délicat d’associer à la fois l’interactivité et le ludisme « pur » du versant jeu et la passivité spectaculaire du versant « vidéo » : c’est cette alchimie particulière néanmoins qui donne à ce média une couleur toute particulière et qui le distingue de tous les autres, et trop privilégier un côté au détriment de l’autre détruirait, alors, l’amour qu’on lui porterait. Aussi, selon moi, la version Nes du Monopoly tout comme, à dire vrai, un titre comme Heavy Rain, Night Trap ou Road Avenger ne répondent que très difficilement à l’appelation même de « jeu vidéo ».

   La chose, même s’il me semble la condamner, n’est pas cependant inintéressante : et bien que je ne sois pas le client attitré de ce genre d’expérimentations, elles ne cessent de me fasciner.

  Revenons à mon propos premier. Il me semble que pendant fort longtemps, du fait de contraintes techniques nombreuses, le jeu vidéo a avant tout « fait ses classes » sur le versant « ludique » et les plus grandes de ses gloires, du moins, les jeux que l’on reconnaît aujourd’hui comme ayant durablement forgé la représentation du média d’avoir été fait avec quelques bouts de ficelle : Space Invaders, Pac-Man, Donkey Kong, Tetris, Super Mario Bros., Galaga… Si l’attrait de la nouveauté, bien entendu, a énormément compté dans le succès de ces jeux, ce n’est pas pour moi le seul argument en leur faveur.

   Ce n’est pas, en effet, parce que nous sommes les premiers que nous sommes les meilleurs. Ce sont des jeux que l’on réactualise, que l’on ressort, dont on ne cesse de parler encore et encore alors que d’autres, plus « m’as-tu-vu » sans doute, ne dépassent guère le temps de leur génération, trois petits tours et puis s’en vont. Il me semble même, mais je peux me tromper, que ce sont surtout les jeux qui ont su développer on ne peut mieux leur caractère « ludique » pour telle ou telle idée qui demeurent en mémoire alors qu’il faut véritablement un coup d’éclat vidéographique pour marquer l’Histoire d’une pierre blanche. L’on se souvient alors très souvent de Prince of Persia ou d’Another World, mais moins – nonobstant la nostalgie galopante, évidemment – de Flashback ou de Heart of Darkness, bien mieux réalisés sous tous rapports ; l’on se souvient très bien de Medal of Honor, je doute que les derniers Call of Duty ou Battlefield, autrement plus cinématographiques, soient cités à l’avenir dans les pensums des notaires.

  La démocratisation absolue du jeu vidéo, par l’intermédiaire d’une première vague du temps de la Playstation puis d’une seconde avec la DS et la Wii, a cependant obligé les développeurs, pour leur grande majorité, à ménager la chêvre et le chou et, même, à développer le versant « vidéo » davantage que le versant « jeu » et ce à tout prix, comme l’explique Simbabbad dans un récent dossier pour GrosPixels. La chose est légitime et aisément compréhensible : rien de tel qu’un bel effet pour attirer le chaland, l’on n’attrape pas une mouche avec du vinaigre. Comme, du reste, notre mode de consommation de ces affaires vidéoludiques a elle aussi évolué et que l’on achète ou « pré-commande » sur la base de beaux discours et de belles images et que l’on n’essaie, de moins en moins, le jeu chez un ami avant d’effectivement franchir le Rubicon, il paraît naturel aux développeurs de porter une attention toute particulière à la forme et de délaisser le fond même si, bien évidemment, celui-ci se doit d’être présent, mais en sourdine : il ne doit, surtout, ne jamais entraver le plaisir visuel ou auditif du joueur.

   C’est ainsi que l’on rencontre des QTE. Des FPS « couloirs ». Des DLC, et ainsi de suite.

  L’avancée technologique, là encore et je ne voudrais pas que l’on interprète la chose en ce sens, n’est pas non plus un « démon » à tuer à tout prix et pour rien au monde je ne souhaite revenir au monochrome ou à la musique midi. De meilleurs graphismes, c’est l’assurance d’une immersion plus agréable, tout comme l’ajouts de voix ou de belles musiques ; un meilleur moteur physique, ce sont des possibilités de gameplay démultipliées, à l’image de Super Mario Sunshine ou de From Dust. Seulement, nous savons tous que les développeurs, pour des questions de temps, d’argent, de rentabilité tout simplement n’exploitent que peu, ou pas, ces possibilités. Un ou deux jeux, au commencement, feront illusion, à l’instar du Knack de la future PS4 mais l’on sait rapidement que le naturel, chassé à la fourche, reviendra au galop.

   La tension, alors, se fait aujourd’hui irrésistible : nous sommes sur le point de rompre.

  D’un côté, les partisans aux grandes bottes de la « vidéo », autrement dit du « divertissement » : ce sont les adeptes des « jeux pop-corn » qui durent peu mais époustouflent par leurs qualités graphiques voire narratives, quitte à avoir un gameplay usé et fade. Gears of War, Battlefield, les derniers Final Fantasy… voire également New Super Mario Bros. WiiU.

   De l’autre, les partisans myopes du « jeu », autrement dit du « ludisme » ou de ce que j’appelle le « jeu vidéo », le seul et l’unique : ce sont les afficionados du gameplay, de la maniabilité, des possibilités de jeu, de l’interaction absolue, quitte à faire des concessions du point de vue graphique ou narratif. GTA V, VVVVVV, Super Meat Boy, Pikmin 3, The Wonderful 101… mais aussi Fallout: New Vegas, pour montrer que ce n’est pas le seul genre, ou le seul point de vue « FPS » qui doit être remis en cause.

   Vous aurez alors remarqué que, dans ces deux rapides listes, j’ai pris soin de citer des jeux venus de tous les horizons car, oui et effectivement, Nintendo n’a pas le monopole du « jeu vidéo » et les autres celui du « divertissement ».

  Mais il est chez Nintendo, cependant, une forme de constance, une cohérence malgré tout qui tend à me faire croire qu’ils ont déjà un « pas » d’un côté de la barrière, eux qui jadis faisaient la course à la puissance avec la N64 et que, le temps aidant, la rupture avec les autres compagnies, rupture qui existe et qui est d’ores et déjà observable, s’accentuera.

  Aussi Nintendo d’avoir traîné les pieds avec la HD, ne la présentant qu’une fois qu’ils avaient compris qu’elle peut effectivement apporter un plus au niveau du ludisme.

  Aussi Nintendo d’avoir traîné les pieds avec le online, se concentrant avant tout sur le multi-joueurs local et présentant le jeu en ligne comme un « bonus » et non le fond de l’affaire.

   Aussi Nintendo de refuser, jusqu’à aujourd’hui avec la WiiU, que leur console ne lise autre chose que des disques de jeu et non pas des DVD ou des CD pour éviter qu’elle ne devienne un « media center » mais qu’elle reste belle et bien un jouet.

   Et ainsi de suite. Toutes les décisions, sur lesquelles ils peuvent effectivement revenir une fois saisi le potentiel de la chose (comme le deuxième stick pour la 3DS) et pour lesquelles ils sont très souvent villipendés, que prend Nintendo me semble entièrement tournées vers et pour le jeu vidéo. Les autres compagnies, quant à elle, louvoie davantage, témoin le Kinect de la Xbox One finalement accessoire alors qu’il aurait réellement pu être un atout majeur dans l’approche du ludisme « à la Microsoft » : mais cela allait à l’encontre de la politique d’entertainment de la compagnie, faut-il croire.

   Aussi je le répète : il n’y a guère que Nintendo qui fasse aujourd’hui du jeu vidéo. Les autres font du divertissement et du jeu vidéo.

   Mais jusqu’à quand ?        

    Mathieu

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Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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