Chronique des chroniques de Player One

Avant propos : Sorti en septembre 1990, Player One est le premier magazine français dédié aux consoles de jeux vidéo. Véritable porte-drapeau d’une génération devenue aujourd’hui trentenaire, mariée, parent, Player One avait ce ton différent, à jamais inoubilable, avec des rédacteurs tels que Matt Murdock, Cyril Drevet (Crevette), Iggy, Elwood, Chris etc.

 

J’ai craqué. Cela m’arrive en définitive rarement, mais quand je cède, c’est pour la bonne cause. Étant toujours un peu nostalgique de « l’âge d’or » de la presse Vidéoludique, bien avant que tout le marché ne soit monopolisé par Yellow Media (anciennement « Future France »), je me suis dit qu’un ouvrage revenant sur la création, la vie et la mort de Player One ne pouvait être qu’intéressant… mais qu’en est-il réellement ?

Présentation globale et la question du manga

Parlons tout d’abord de l’ouvrage en lui-même avant de rentrer plus en détail sur sa construction. Le livre est de très bonne facture, le prix (19 €) très raisonnable au vu de la qualité globale du papier et de la densité de l’ouvrage. On a même droit à une dizaine de pages en couleur mettant en avant quelques couvertures de magazines de la famille Player, des pigistes, etc. etc.

Premier bémol cependant, je m’interroge encore sur la présence de Lara Croft sur la couverture comme égérie du jeu vidéo. Le choix me paraît mal considéré, et ce à plusieurs niveaux : premièrement, l’aura de Lara (ahaha) a fortement chu depuis plusieurs années, je peux même potentiellement le dater : la sortie de Tomb Raider 2. Même si des épisodes comme Anniversaryl’ont remis au goût du jour, elle ne me semble pas particulièrement représentative du média, du moins pas autant que Mario, Sonic ou un quelconque héros de Final Fantasy ; deuxièmement, s’il s’agissait de représenter la période Playstation, pourquoi ne pas avoir mis précisément Cloud de Final Fantasy, ou même Duke Nukem ou Crash Bandicoot ? Mettre du cul  en couverture ? Les héroïnes de Dead or Alivele font bien mieux. Troisièmement, à aucun moment dans le livre, et je dis bien à aucun moment on ne parle ni du jeu, ni de l’héroïne, comme quoi elle a servi à populariser le média auprès du grand public etc. À dire vrai, je trouve la période Playstation assez négligée dans l’ouvrage, à mon plus grand dam.

Bref, au delà de la laideur de la couverture, je ne comprends pas cette présence incongrue de Lara Croft. Je doute qu’elle attire celui qui ne connaît que peu les Jeux Vidéos (pourquoi ne pas avoir mis Mario ou un Mii?), il décevra celui qui s’attend à avoir une analyse du phénomène Tomb Raider(qui a existé, je ne le nie pas)  et plongera les nostalgiques, comme moi, dans la plus sombre des perplexités. On est sauvés sinon par la présence de Sam Player (la mascotte) pour représenter le journal et du protagoniste de GTO pour illustrer le manga, ouf ! Allez juste pour pinailller, pourquoi cet ouvrage n’a pas bénéficié d’un dessin d’Olivier Vatine? Premier dessinateur de l’excellente BD Aquablue, dont le héros Nao, est très similaire à la mascotte Sam Player; il a réalisé quelques jolies couvertures du magazine. Dommage, d’autant plus que la BD a toujours été mise sur pied d’estale par Inoshiro (Olivier Richard) lors de ses articles…

Le bouquin est ensuite divisé en onze chapitres prenant le problème de façon chronologique, en alternant le monde des jeux vidéos et le monde des mangas. Le sujet est résolument complexe, tant l’un et l’autre se sont nourris pendant des années, les amalgames faisant du mal à l’autre en visant l’un, ou au contraire bénéficie à l’un en l’assimilant à l’autre (il est fait référence notamment du succès de l’adaptation de Street Fighter IIen manga et anime des suites du succès du jeu vidéo, ce qui est très bien vu). Mais qui trop embrasse, mal étreint ; et de vouloir être exhaustif dans la façon dont le manga, puis le jeu vidéo, ont été considéré en France, on en perd quelque peu le propos général. On a tendance à penser, et j’aimerai l’avis de « profanes » ici, que les deux univers étaient parfaitement parallèles mais sans connexions, ou liés de façon fort floue : que la sortie de Manga Player, par exemple, résultait d’une ambition arriviste et non d’une stratégie liée à la culture japonaise en général. Ainsi, les rubriques mangas de Player One sont vite balayées, et l’on se concentre que sur le monde de l’édition. Ces précisions sont importantes, mais dans cet ouvrage, elles auraient dû rester un contexte et non un propos.

Cela donne au final un rendu assez brouillon, un peu ce que l’on reproche d’ailleurs aux dissertations de potaches au lycée ou dans les premières années de faculté : plutôt que de traiter deux thèmes de façon liée, on en parle de façon distincte… et on manque forcément quelque chose. J’aurai ainsi volontiers voulu plus de discussions notamment sur cet ouvrage de Ségolène Royal, Le ras-le-bol des bébés zappeursqui reflétaient les rapprochements que l’on faisait d’alors entre jeu vidéo et manga/animé. Bref, j’ai eu la sensation parfois de passer à côté du propos, et je me suis fait limite chier à la lecture des parties consacrées au manga, même si leur aspect historiographique est très bien documenté, avec chiffres à l’appui, noms d’auteurs et de séries, etc. etc. Je regrette d’ailleurs l’absence d’un tableau récapitulatif des sorties de mangas en France, alors que cela a été fait avec le cinéma, notamment avec les films de Miyazaki… Oubli d’autant plus regrettable que l’on nous présente en annexe des chiffres et des courbes de ventes de manga de façon brutes, sans aucun autre commentaire sinon de se dire « ah ouais, ça a augmenté »… Une mise en parallèle avec les sorties, par exemple, de Dragon Ball, de Narutoou de One Piece auraient pu permettre une vision plus approfondie de la question.

J’avoue, même si la question du manga en France m’intéressait, ce n’était pas pour cela que j’achetais l’ouvrage. On trouve par ailleurs d’excellents livres sur la question (notamment sur la question du Soft Power définie par Joseph Nye), mais en lisant Les chroniques de Player One, on s’attend toutefois à entendre parler de Player…

La question Player

Est-ce que cela a fait vibrer en moi une fibre nostalgique ? Oui. Est-ce que cela m’a rappelé des souvenirs ? Oui. Est-ce que cela m’a fait plaisir ? Oui.

Ai-je appris des choses ?

Pas vraiment en fait.

Ne nous méprenons pas : encore une fois, le travail d’interviews, de datation, de documentation en général est véritablement bluffant ; nombreux sont celles et ceux à avoir été interrogés, on sent que les textes ont été que peu réécrits tant le style de chacun (Mahalia, Yoda, Wolfen, Matt Murdock etc.) est reconnaissable. On en apprend davantage sur la gestation des tous premiers numéros, cet appartement de pigiste « puant le chacal » (sic !) où on passait des nuits entières à jouer pour pouvoir faire des plans et vérifier des soluces ; un grand bravo d’ailleurs pour la restitution de ces scènes magnifiques, qui expliquaient comment prendre des screenshots à l’époque, ou comment les plans des jeux étaient faits et dessinés. Je m’aperçois après coup que l’ambiance que l’Ultra BD décrivait à l’époque (planches qui passaient dans Ultra Player, dans le style « vie à la rédaction ») était assez similaire à ce que vivaient réellement les pigistes et les rédacteurs. À vrai dire, à part le fait que j’ai dès lors appris qu’ils fumaient des pétards et buvaient de la bière régulièrement (ce que je fais aujourd’hui, mais à l’époque, trop jeune, je ne voyais que le côté « pizza » de leurs soirées), cela correspond assez bien à l’image « bon esprit », pour reprendre Goomba, que je m’en faisais étant plus jeune.

Ça ressemble un peu à la rédaction de Ze Player en fait, sauf qu’on ne choisit pas sa bière : c’est Leffe pour tout le monde… Que voulez-vous, on n’a pas les mêmes moyens.

Mais bizarrement, la « question Player » est rapidement éliminée pour se concentrer davantage sur la montée en puissance du phénomène jeu vidéo en globalité, et ce encore une fois de façon peu détaillée… Ainsi, moins un bouquin sur le magazine lui-même, le texte se veut généraliste, et on en ressort dès lors déçu : c’est comme si vous achetiez un bouquin consacré, mettons, au cinéma de John Ford, et que l’on vous fourgue un texte sur le far-west en général et sans jamais rentrer dans la vie de votre réalisateur favori.

On passe donc à côté de pas mal de choses, notamment sur la vie de la rédaction : peu d’anecdotes, peu de récits, rien sur le magazine ; si l’on passe énormément de temps à nous décrire les conditions d’apparition de MSE, la création du premier numéro de Player One et de Nintendo Player, on mange ensuite les années à une vitesse folle, en négligeant ainsi de parler plus spécifiquement du magazine.

Comme je le disais plus haut, la période 32 bits est rapidement éludée, on passe directement à la période des 64/128 qui marquent la fin de Player One… mais quelque part, on parle finalement peu de jeux vidéos, si ce n’est de certains grands noms de la NES et de la Master System, et d’un peu de fan-service sur la lutte Sega/Nintendo : tout est passé sous silence. Je m’interroge dès lors sur la cible revendiquée par l’ouvrage : les profanes, ou les connaisseurs ? Tout semble indiquer les premiers, cependant j’ai dû mal à croire qu’il ne pourra pas être largué devant ces avalanches de noms de mangas, de jeux vidéos, de créateurs, de consoles… et ce n’est pas les quelques notes de bas de pages qui feront avancer le problème ! Il faut, pour se plonger dans le livre, avoir une connaissance certaine du média.

Le livre s’adresse donc ni aux profanes, qui n’entendront rien au magazine, ni aux nostalgiques désireux de tout savoir sur Player One, tant les informations sont lapidaires et peu nombreuses, on les guette véritablement. En vérité, l’ouvrage semble s’adresser ce que l’on a appelé les « casual gamers », ou encore les « rétro-gamins », soit des personnes qui n’ont qu’une vue globale du média et qui sont soit intéressés par son histoire, soit désireux d’acquérir un savoir qu’ils auront ainsi du mal à maîtriser. Les chroniques de Player One, le « wikipedia » des rétrospectives ? Il y a un peu de cela : l’information est diffusée de façon rapide et continue, on ne s’arrête jamais, on ne pense pas, ça doit décoller très vite. L’impression d’être devant un clip MCM se fait de plus en plus forte, avant de culminer en grande régie publicitaire par les interviews de hauts dignitaires de plusieurs compagnies, UbiSoft, Nintendo, Sony et Sega, qui en profitent pour placer, en bons communicants, leurs produits.

Alors quoi gamin ?

Si ce n’était que moi, je vous le déconseillerai. Je n’ai rien appris sur le milieu des jeux vidéos ou des mangas, appartenant moi-même à cette génération « underground » qui y est décrite. Je ne l’ai acheté que par nostalgie du magazine, et j’ai été déçu de voir finalement le peu d’informations qui s’y trouvait. Ainsi, en tant qu’ouvrage spécialisé sur la question Player, il déçoit.

Les recherches documentaires sont en revanche pertinentes, même s’il manque une réelle profondeur d’analyse et un regard vraiment éclairé sur la question : cela est peut-être dû au fait que les auteurs, Olivier Richard et Alain Kahn, sont des passionnés et qu’ils ont, dès lors du mal à se détacher de leur sujet. Ainsi, en tant qu’ouvrage généraliste sur la question manga/jeu vidéo, il déçoit, car pas assez professionnel, et surtout parce qu’un nombre incalculable de bouquins sur la question sont sortis, tant en ce qui concerne le phénomène à l’échelle nationale qu’à l’échelle mondiale.

Que reste-t-il donc de ces Chroniques? Pas grand chose. On a tendance à glisser sur ce bouquin comme on peut glisser sur un livre de BHL : on le remarque sur l’instant, mais on ne s’en souviendra pas demain. Il reste dans tous les cas une curiosité, et deviendra sans nul doute collector, moins pour sa qualité intrinsèque que pour le faible nombre d’ouvrages qui sera vendu. L’entreprise, dans tous les cas, est fort louable, mais à vouloir absolument le rendre bankable, et donc à caresser pléthores de sujets et d’âges distincts, on obtient quelque chose d’hybride, de mal fini ou de mal commencé, qui souvent se perd et jamais ne revient. Je reste convaincu qu’il aurait été bien plus sympathique de se concentrer, quitte à faire cent pages de moins : Player One, en tant que précurseur, méritait tout autant cette rétrospective que l’Écho des Savanes ou Charlie Hebdo. Est-ce une réussite ? Non.

Mais cela ne doit pas les empêcher de recommencer.


Mathieu, qui reste « bon esprit ».

About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.

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