Autant être clair immédiatement, et si vous me suivez depuis un moment sur ce site, mon introduction laconique ne vous surprendra aucunement. Je n’ai pas aimé Beyond : Two Souls. Tu parles d’une révélation. Et pourtant je puis vous assurer que non seulement j’y ai passé du temps, mais plus important, je l’ai terminé. J’aurai par conséquent la légitimité de mes propos que j’annonce cinglants.
A l’époque de Heavy Rain, j’avais largement conspué le fait que David Cage se prenne pour Dieu en arguant révolutionner le jeu vidéo, avec tapis rouge et stars de circonstance. Le : »avant moi le chaos, après moi le néant », avait quelque chose d’absolument puant au regard du pedigree de l’individu :
L’affligeant Super Dany sur Super Nintendo, un pas si mauvais Nomad Soul bien que lacunaire, et un Fahrenheit sympathique; véritable brouillon de ce qu’allait nous pondre Quanticdream. Des titres somme toute mineurs, sans impact réel sur le jeu vidéo, et le voilà propulsé plus haut que par exemple Shigeru Miyamoto, Yu Suzuki, Hideo Kojima, Ron Gilbert ou John Carmack. Vous savez des types plutôt humbles et qui ont juste écrit les plus belles pages de ce loisir.
Mais baste, à mauvais esprit chronique que je représente, j’avais modéré mes dires avec notamment une lettre à David Cage, dans laquelle je précisais, et je me cite : « Sans le savoir vous avez réussi a jouer avec mes cordes sensibles. Un peu de Shenmue ici, un peu de Twin Peaks là et me voilà plongé dans la pire des drogues. Bien entendu, je ne peux pas vous remercier de m’avoir donner du plaisir de jeu, mais du plaisir tout court, sacré Coquin de Sort que vous êtes, ce n’est déjà pas si mal. ».
De fait, je reconnais avoir apprécié Heavy Rain dans ce qu’il avait à m’offrir : Un moment agréable quand bien même la conclusion absolument stupide. Un film interactif comme j’ai toujours su les apprécier , de Road Avenger à Dragon’s Lair, avec ce côté textuel dont je raffole à la manière d’un Snatcher.
Pour autant, jamais au grand jamais je ne les considérerai comme jeux.
Et Beyond là dedans? Il suffit de voir les affiches ici et là : Ellen Page, Willem Dafoe, By David Cage.
Elles résument ce qu’est Beyond. Un film. Alors l’on va me dire « Ouais mais t’a bien aimé Heavy Rain non ? » Sauf que Beyond est pire, bien pire.
On ne va pas revenir sur le concept, mais en substance, Jodie est une enfant à part, qui peut communiquer avec une entité nommée Aiden. Ainsi l’on va vivre plusieurs périodes de sa vie, dans diverses situations pour mieux comprendre le terrible sacerdoce qu’est son existence.
Cela aurait pu bien commencer. Une mise en scène léchée, un thème musical plutôt bon ( en même temps c’est du Hans Zimmer) et une qualité graphique rare. La Playstation 3 est dans sa superbe, et il est difficile de prendre le studio à défaut tant le choc visuel est au rendez-vous.
La suite n’est pas du même tonneau. Très rapidement on retrouve les marottes de David Cage. On contrôle Jodie, et l’on attend que les boutons contextuels apparaissent à l’écran pour agir. Un coup de L1 puis X ou O, parfois R2.
Seule nouveauté assez plaisante : le contrôle de Aiden à tout moment. Diriger cet esprit est surprenant et l’on se demande bien pourquoi Quanticdream n’a pas focalisé là dessus. Au moins on aurait eu du gameplay. Au lieu de ça, Aiden ne peut pas faire grand chose, sinon ce qui lui est proposé; la chose étant matérialisée par des points bleus. Si vous vouliez casser la fenêtre de droite c’est rappé, c’est celle de gauche qui a le point bleu… Navrant.
Beyond se perd dans les méandres de la non jouabilité. Quoi que vous fassiez, les actions n’auront que peu d’impact sur le déroulement. Tout au plus le chemin ne sera pas le même. Mais que vous vous battiez contre vos ennemis ou vous laissez faire, le résultat sera strictement le même, à l’image de la séquence du train. Faites là en démo des deux manières et vous verrez. Pire, si vous souhaitiez que Jodie se fasse capturer dans la forêt en posant la manette sur le canapé, celle-ci -comme de par hasard – glissera toute seule et avancera dans cette dernière jusqu’à la séquence cinématique. Consternant.
Alors on se force à « jouer » sans quoi l’ennui ne manifestera. Vite échappons nous( L1+L2+X ) en maintenant la combinaison pour ouvrir la trappe. Faisons la cuisine, ouvrons le placard pour la vaisselle (R2 +R1) et ainsi de suite. Jamais l’on n’est maître, on subit. Et surtout on s’ennuie ferme.
Rappelons que le QTE peut-être amusant, et oblige à la réactivité. Là…
Si encore le scénario était captivant, la pilule passerait bien mieux. Il suffit de voir l’écriture du jeu The Walking Dead pour s’en convaincre. Raté, à se demander si il y a eu une relecture. Beyond n’a aucun fil conducteur, donc aucune intrigue. Le fait de vivre les passages de vie dans le désordre est absolument casse gueule, et mieux vaut être chevronné en écriture pour que l’ensemble ait une cohésion.
Ce ne sera pas pour cette fois. On assiste à la vie de l’héroïne sans comprendre trop pourquoi, avec cette terrible impression qu’elle restera une étrangère. Cette déconstruction de l’histoire empêche toute empathie et attachement. Qu’importe la prestation des acteurs, aucun personnage n’est marquant.
Alors l’on jette de l’émotion pour faire chialer dans les chaumières en jouant la carte du misérabilisme, ou comment David Cage nous refait Les Rougon Macquart saupoudré de Sans Famille. La vie de Jodie est un enfer, elle est tour à tour la risée de ses camarades, traquée et sale, SDF suicidaire etc. On va la voir la Ellen Page dans ses performances d’Actor Studio. Sauf que si certaines scènes peuvent être poignantes, ce n’est aucunement le jeu vidéo qui les sert, mais bien le jeu d’acteur.
D’où la question sempiternelle : Beyond est-il un jeu ? Si l’émotion passe par un quidam en image de synthèse, vous connaissez ma réponse.
Je ne suis jamais rentré dans Beyond. L’histoire vaine, cette sensation de ne rien faire et ces combinaisons de boutons imbéciles ont eu raison de moi. Les combats sont inexistants, et quand l’occasion de faire de l’infiltration façon Metal Gear se présente, il est difficile de ne pas marmonner dans sa barbe tant les contrôles sont ratés. Oui Quanticdream ne sait pas faire un bête déplacement de personnage correctement.
Beyond : Two Souls résume ce qu’il ne faut pas faire. Zéro gameplay, histoire inintéressante, soporifique, aucune intelligence artificielle, aucun level design et surtout aucune tension.
L’on peut reprocher à The Walking Dead de ne pas être un jeu vidéo également, à la différence que celui-ci offre des décisions vraiment cruciales, et happe sans mal celui qui s’y essaye vu qu’il est construit comme une série avec ses cliffhangers.
Plus important, il n’a pas coûté 20 millions de dollars, n’a pas bénéficié d’un enrobage marketing dégueulasse, n’a pas eu besoin d’employer des stars pour avoir des personnages nettement plus forts et surtout ne s’est jamais autorisé à mettre en avant ses créateurs comme les plus grands visionnaires.
Avec beaucoup moins il fait tellement plus, tellement mieux.
Beyond : Two Souls n’est ni un bon jeu, ni un bon film, juste un mauvais souvenir. A croire que David Cage a fait exprès de le rater, pour que les plus grognons dont je suis aient la réflexion de se dire « Finalement, Heavy Rain, c’était pas si mal », et ainsi le réhabiliter.
Le vrai bébé de son créateur est bien ce dernier.
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