Je n’avais jamais, jusqu’à présent, regardé une vidéo d’Usul sur jeuxvideo.com. C’est maintenant chose faite avec son dernier numéro sur les relations entre presse et industrie. Et à défaut d’avoir aimé, cela m’a amené à m’interroger… sur Usul.
Je le répète, je n’avais jamais regardé de vidéo d’Usul. Je connaissais l’homme de nom – ou de pseudonyme – aussi suis-je vierge de tout ce qui concerne son style, ses pensées, ses idées, son engagement. Cette dernière vidéo, cependant, qui imite ou s’inspire, plus qu’elle ne parodie Pas vu pas pris de Pierre Carles (1994) tant en construction qu’en sujet (l’accointance entre les journalistes, le « quatrième pouvoir » et le milieu « politico-industriel » pour parler rapidement, englobant de là l’industrie du loisir au sens large… mais c’est encore une seule et même chose, relisons Debord) a aiguisé ma curiosité et, je l’admets, l’homme ne doit pas être un mauvais bougre puisqu’il connaît le travail d’un de mes documentaristes favoris, favori pour plus d’une raison et peut-être pas pour celles que l’on pense ; mais je reviens à cela dans un instant.
La vidéo d’Usul se propose donc de mettre en avant, ou de remettre en avant, une polémique qui a fait brûler bien des torchons il y a de cela quelques mois, l’affaire dit du « doritogate » (j’avais fait une tribune sur cette question juste avant l’affaire en question, comme quoi, il y avait déjà de l’eau dans le gaz…). Le genre utilisé, cette fois-ci, est la satire : les amateurs de L’Écumoire, histoire japonaise ou de toutes ces bondieuseries en auront pour leur argent, car on reconnaît assez bien certaines figures connues des lecteurs, en premier lieu Julien Chièze « mis en trait » par Cœurdevandale, lunettes et sourire bright inclus. Une dizaine de minutes plus tard, la farce se termine et se fait sympathique. Il n’y aura rien de révolutionnaire, pas de révélations tonitruantes, et nous aurions même là, en dix minutes, le résumé d’une de ces émissions d’@si (Arrêt sur Images) traitant du même sujet (article payant).
Et pourtant, quelque part, au fond de moi, je trouve la vidéo détestable. Haïssable même. En y réfléchissant davantage, je la trouve même servant les intérêts de ceux qu’elle est censée dénoncer. À nouveau, sans doute que tout ceci est-il voulu, et que j’ai pris les choses au « premier degré » alors qu’il fallait le saisir au deuxième ou que sais-je encore, et qu’Usul, fort d’un talent et d’un style que je ne connais point, a disséminé des indices devant aiguiller vers une autre interprétation que celle que je vais proposer, indices que je n’ai su relever du fait de ma « naïveté ».
Peut-être.
Mais pour que l’on puisse me montrer que j’ai tort, il me faut encore expliquer ce que j’ai compris.
J’ai dit plus haut que j’aimais beaucoup le travail de Pierre Carles. De Juppé, forcément à Fin de concession en passant par Choron, dernière ou Attention danger travail, je ne suis pas loin d’admirer le personnage. Même Ni vieux, ni traîtres qui pourtant m’a fait grincer des dents – je me souviens de Joël Bastard, fidèle à lui-même, demandant au réalisateur s’il pouvait flinguer un opposant politique de sang-froid pour commettre ainsi un hommage à Action Directe – m’est joli. Non forcément pour le propos : je serai bien de l’avis de nombre, comme quoi l’on « caresse » dans le sens du poil quelques gauchistes (ce que je suis, sans me cacher) mais il est toujours connu que ce genre de films ne s’intéresse avant tout qu’à des convaincus (on ne fait pas un débat dans un film mais bien après le film), mais bel et bien pour la forme.
Pierre Carles, et cela se lit encore dans La sociologie est un sport de combat, est un réalisateur qui travaille avec une immense réflexivité sur son action. Toutes ces scènes où on le voit avec son équipe, réfléchissant à la conduite de son projet, ou lorsqu’il filme et enregistre ses discussions téléphoniques, sa préparation, son travail d’écriture, ne sont pas seulement, comme je le présageais de prime abord, ce que Barthes aurait appelé des « fragments de vérité », présents pour vous assurer de la véracité des images et des propos diffusés, mais elles sont surtout des armes pour remettre en cause ce que l’on voit. Il y a, en réalité, davantage de Mark Danielewski que de Paul Nizan dans son travail : une constante remise en question.
Car Pierre Carles, par ses méthodes, son propos, son engagement, sait qu’il n’est pas au-dessus de la masse. Il est, et demeure, un journaliste avec tout ce que cela implique. C’est d’ailleurs là le grand drame de son existence : il dénonce des pratiques, et des travers, qu’il a lui-même et dont il fait preuve. Mais la différence avec ses confrères, c’est qu’il se rend compte de cela ; et, à défaut de combattre ces problèmes, les met en scène et montre les difficultés pour les surmonter. Ses films, à de très rares moments près, ne nous révèlent rien. Sans rire, il existerait une amitié forte entre journalisme et politique ? Que l’on stoppe les rotatives ! Je crois même que le feu brûle et que l’eau mouille, pour reprendre une vieille ritournelle. Pas vu, pas pris (et les autres de la trilogie) n’est pas un film à polémiques. Il est un film devant nous amener à réfléchir sur le journalisme, et c’est là un exercice que l’on aimerait voir davantage (Daniel Schneidermann, sur Rue89 notamment, s’y essaie parfois).
Or, que ferait Usul dans cette vidéo ? Il ne remet pas ceci en question. Pire, il « trace une ligne » noble et digne entre ce qui serait « les uns » (ces « odieux journalismes pourris », les Chièze, les gameblogistes, que sais-je encore) et « les autres » (dont il ferait sans doute partie, avec les Molas, les Realmyop, les Reillat, que sais-je encore). Déjà, on peut voir l’ironie latente de le voir s’afficher sur jeuxvideo.com, premier site journalistique francophone dédié au média. Et déjà l’on me répondra : « oui, mais bougre d’andouille, le jeuxvideo2000 présenté dans la vidéo est une parodie de jeuxvideo.com, ahah, tu ne vois pas comme il dynamite le système de l’intérieur, ahah, que c’est fin ! ».
Ah ah. Et Charlie Hebdo est un journal de gauche, Ardisson un polémiste et Michel Field un révolutionnaire.
Pas vu, pas pris n’a pas été diffusé sur Canal +, alors qu’il devait être, à la base, un projet commandé par la chaîne (notamment par l’intermédiaire de Philippe Dana). « L’indépendance » d’Usul est diffusé sur jeuxvideo.com. Les uns, les autres. La satire est un genre merveilleux qui permet de se dédouaner si jamais la caricature se fait trop ressemblante, à ce qu’on dit. Apparemment, c’est ici le cas : la « liberté de ton » est telle que le site n’a aucun problème à mettre en avant ces « agitateurs », de la même façon que l’on exhibe un Val, un Charb, un Nicolas Bedos pour faire croire que la censure n’existe pas, ou plus, en France (Tristan-Edern Vaquette pourra vous en parler, tiens… quand l’a-t-on vu sur le service public la dernière fois d’ailleurs ?). Je suis peut-être vieux jeu, mais je ne crois pas que l’on puisse détruire un système en étant intégré dans ledit système.
Usul, sans remettre ce travail de « journalisme » en question autrement que par la satire évidente et en tirant sur les ambulances (sincèrement, qui fait encore confiance à Gameblog ou à Chièze ?), en diffusant tout ceci avec la bénédiction de jeuxvideo.com et en exhibant une référence « polémique » mais en ne gardant que la surface des choses, me fait ici davantage penser à Julien C. et aux uns, car finalement leur propos sont les mêmes : « je ne vois pas où est le problème : les lecteurs savent faire la différence entre ce que je fais et ce que je dis ». Ou bien alors, encore une fois, le retour implicite sur soi, l’asinus asinum fricat est parfaitement assumé et voulu par l’auteur et je suis passé à côté.
Je me méfie toujours des groupes. Quand Brassens chantait « Sitôt qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons », il n’avait pas entièrement tort. Quand je vois s’aligner dans cette vidéo les figures « alternatives » à la pelle, je ne peux m’empêcher de me ressouvenir ce pourquoi, alors que j’appréciais à leurs débuts Frédéric Molas et le Joueur du Grenier, ou 88 miles à l’heure et Realmyop et CœurdeVandale, je les conchie aujourd’hui. Ce n’est pas tant pour la qualité, réelle ou supposée (tout étant toujours sujet à débat) de leurs travaux mais, finalement, pour leur arrivisme latent. Je trouve leur prostitution dérangeante. L’on va me dire que j’ai mes marottes (les anciens se souviennent peut-être…), mais je reviens sur monsieur Molas. Qu’il fasse du James Rolfe/Doug Walker « à la française », admettons. Qu’il reprenne des blagues, textuellement, de ces derniers (ou des Simpson, ou d’Astérix), le décorum, admettons. Qu’il ait du succès, grand bien lui fasse, j’en suis même plutôt ravi pour lui car on sent le travail technique, l’abnégation, à défaut de l’originalité ou de la passion, derrière ses vidéos. Qu’il fasse ses « Papy Greniers » qui ressemblent beaucoup en esprit aux « Nerd Memories » de James Rolfe quelques mois à peine après lui, admettons, une bonne idée est faite pour être copiée.
Qu’il s’affiche à présent copieusement sur les sites à grande fréquentation, les festivals, les émissions…
J’ai parlé de Philippe Val, non ?
Cette petite bande de « chroniqueurs », d' »agitateurs », de « mecs cools » ne sont pas au-dessus de la mêlée. Ils sont même les égaux de Julien Chièze, puisqu’il faut reprendre un marronnier, car ils se posent en tant que donneurs de leçons. On peut attaquer les journalistes qui, parce que trop proches d’un politique, d’un éditeur, foulent au pied leur déontologie. C’est ce que fait Les nouveaux chiens de gardeavec précision, et il est vrai que cela pose de nombreux problèmes. Je trouve, me concernant, bien plus détestables celles et ceux qui non contents d’avoir cette accointance se dissimulent sous les atours de l’impertinence ou de la différence, alors qu’ils ont été parfaitement intégrés par le système qu’ils dénoncent pourtant.
« Mais allez donc voir Gameblog les vidéos d’Usul, vous verrez que l’on fait la différence. »
Bien entendu, le sujet est terriblement complexe. Aujourd’hui, avoir un public signifie nécessairement passer les canaux de diffusion traditionnels, et j’ai alors du mal à saisir la critique d’un auteur sur lesdits canaux. À l’inverse, rester sur des méthodes « alternatives », c’est prendre le risque de ne s’adresser qu’aux convaincus et ne pas atteindre celles et ceux qui pourraient être effectivement remués par le propos.
Je reste encore jeune, et bercé d’idéaux. Je continue de croire que l’Université, ou la Faculté, aplanit les différences sociales et ne reproduit pas des schémas sociaux pré-existants. Je continue de croire que la Politique, et la démocratie indirecte, permet de construire une société plus juste. Je continue de croire, enfin, que l’on peut parler de jeu vidéo autrement, et les exemples autour de nous ne manquent pas.
Mais peut-on faire une juste guerre pour de mauvaises raisons ? Si la critique que l’on adresse au système le fait sourire et ne le fait pas hurler, est-elle encore critique ? Car finalement, ce n’est jamais au public que ces questions s’adressent, mais bien aux journalistes et aux éditeurs. S’ils finissent par se taper dans le dos et boire des coups ensemble, même s’ils sont en « bonne compagnie », à quoi cela sert-il ? N’a-t-on jamais vu deux anarchistes partager un bout de viande ? Où sont Les Justes ?
Je ne suis pas exempt des critiques que je viens de faire. Que ce soit sur ZePlayer, sur Grospixels ou Radio01.net, je fais pour l’heure partie d’une nouvelle génération, timide, « d’anarchistes » du jeu vidéo, comme l’ont été à leurs débuts Molas, Realmyope et cie. Et si les choses se poursuivent, peut-être serais-je récupéré. Car le système intègre toujours ceux qui vont à l’encontre de sa marche ; les autres disparaissent de la circulation.
Si ce jour arrive, j’espère qu’un autre écrira à ma charge, en substance, ce que je viens d’écrire ici sur les autres.
Mathieu
About Mathieu Goux
Co-Responsable de Ze Player, Rédacteur sur Grospixels.com, Animateur sur Radiojv.com.
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